La pandémie a profondément bousculé la philanthropie au Québec. Les divers organismes travaillent plus que jamais main dans la main et semblent plus à l’écoute des besoins de la communauté. État des lieux avec trois acteurs du milieu.

Karel Mayrand a pris les rênes de la Fondation du Grand Montréal en pleine crise sanitaire, en juin 2020. Le nouveau président-directeur général a été témoin de l’ampleur des changements qui ont touché la philanthropie.

« On s’est réinventés, raconte-t-il. On s’est retrouvés à agir dans l’urgence. » Cette nouvelle façon de faire a permis de mieux connaître le milieu et ses besoins.

PHOTO FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE

Réunion des membres de la Fondation du Grand Montréal

La Fondation du Grand Montréal s’est aussi impliquée dans le Consortium COVID Québec, un regroupement de fondations philanthropiques privées venant en aide aux populations particulièrement affectées par la pandémie. « On s’est rendu compte qu’il manquait de ressources sur le terrain. On a financé le déploiement d’équipes de quartier pour faire de la prévention et la promotion de la vaccination. »

Le président du conseil d’administration de l’Institut Mallet constate pour sa part que l’élan philanthropique s’est ragaillardi. « Les Québécois donnent plus que jamais et rien n’indique que ça va changer », dit Jean M. Gagné.

Ce dernier remarque que les organismes ont collaboré directement entre eux, une pratique qui devrait rester, tout comme l’agilité. « Tout le monde a contribué pour répondre aux demandes complexes. On a aussi appris qu’en étant plus agiles, on réussit mieux à atteindre nos objectifs communs. »

Aller à la racine du problème

L’impact de la pandémie se fait surtout sentir dans la philosophie des organismes, selon Karel Mayrand.

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Karel Mayrand, président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal

Les deux dernières années ont souligné les inégalités sociales déjà existantes. Ça a posé toute la question : “Où est-ce que la philanthropie intervient ?”

Karel Mayrand, président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal

Traditionnellement, la philanthropie soutient le secteur de la santé, l’éducation, la culture, mais elle oublie la lutte contre les inégalités sociales et les populations immigrantes ou racisées. Moins de 1 % des dons ont par exemple été versés aux communautés noires dans le passé, selon le Réseau pour l’avancement des communautés noires et le programme Philanthropy and Nonprofit Leadership de l’Université Carleton.

« La philanthropie est beaucoup plus perméable à ce qui se passe dans la société depuis la pandémie et le mouvement Black Lives Matter », constate Karel Mayrand. Le milieu a désormais l’intention de régler les problématiques « à la racine » et de soutenir les changements systémiques. La question de la réconciliation avec les Premières Nations est également au menu.

Sans surprise, l’environnement s’est taillé une place parmi les causes philanthropiques. Ça ne se traduit toutefois pas toujours en dons. « Les jeunes, qui sont plus interpellés par le sujet, ont le pouvoir du nombre, de l’engagement et de la mobilisation. Ce ne sont pas ceux qui ont le plus d’argent à donner », explique Isabelle Morin, membre du conseil d’administration de l’Association des professionnels en philanthropie – Section du Québec.

Vers une philanthropie de confiance

Plusieurs organismes avaient des besoins criants au plus fort de la pandémie. « Tous les mécanismes pour obtenir des fonds ont été mis de côté et on a procédé sur une base de confiance. C’est le terrain qui identifie aujourd’hui les programmes d’intervention », relève Jean M. Gagné.

La Fondation du Grand Montréal applique la même méthode. « Avant, on lançait des appels à projets pour répondre à nos objectifs. On essaie maintenant d’être à l’écoute de la communauté. On fait confiance au milieu pour définir les besoins, prendre les bonnes décisions et bien gérer les ressources qu’on donne », explique Karel Mayrand.

L’inflation se fait sentir

Un Canadien sur cinq se prive de manger pour affronter l’inflation, selon le Centre canadien de recherche appliquée et sociale de l’Université de la Saskatchewan. « Il y a beaucoup plus de besoins dans la population, donc beaucoup plus de besoins dans les organisations », constate Isabelle Morin. Elle ajoute que les causes sociales prennent de l’ampleur, comme l’insécurité alimentaire et la crise du logement.

L’Institut Mallet reconnaît que la pression sera forte sur les organismes subventionnaires, en particulier les banques alimentaires, qui doivent en plus jongler avec la rétention de main-d’œuvre.

Karel Mayrand, lui, insiste pour dire que le gouvernement devra soutenir le milieu communautaire en ces temps difficiles. « Le milieu philanthropique devra sortir de sa tour d’ivoire et interpeller directement le gouvernement. »