Pour parler de la place qu’occupent les femmes en affaires – particulièrement dans les postes de direction –, la métaphore du plafond de verre est souvent utilisée. Bien qu’il soit légèrement craqué, il est temps selon plusieurs de le faire éclater.

En comparant le progrès du Québec à celui d’autres pays occidentaux, on ne constate « ni de retard ni d’avance », soutient Christina Constantinidis, professeure en entrepreneuriat à l’UQAM qui s’intéresse à la question féminine depuis une vingtaine d’années.

Dans la province, 20,1 % des personnes qui sont membres d’un conseil d’administration ou titulaires d’un poste de dirigeant au sein d’une entreprise sont des femmes, selon une étude de Statistique Canada parue en 2019. Dans l’ensemble du Canada, la proportion est essentiellement la même, à 19,2 %. Aux États-Unis et en Europe, explique la chercheuse, le taux d’une femme sur cinq est également la norme. Il n’existe pas encore de chiffres plus récents.

Il y a une dizaine d’années, ce taux oscillait plutôt entre 10 et 15 %. Ce n’est pas une montée fulgurante, mais tout de même une amélioration.

« C’est plate à dire, mais c’est une bonne augmentation. Un effort constant est déployé en ce sens par les sociétés d’État », affirme Ruth Vachon, présidente-directrice générale du Réseau des femmes d’affaires du Québec (RFAQ). « Mais 20 %, c’est peu. On ne peut pas dire que c’est parce qu’on est moins attirées. »

Le chiffre qui frappe : une femme dirigeante (donc membre d’un conseil d’administration ou d’un comité de direction) a deux fois moins de chances qu’un homme d’occuper une « fonction supérieure », comme celle de présidente du conseil ou de l’entreprise. C’est actuellement le cas d’un dirigeant sur quatre, mais seulement d’une dirigeante sur dix, fait valoir Christina Constantinidis.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Je trouve qu’après tant d’années, ce serait le temps de viser un peu plus haut qu’où on est rendu. Si on ne prend pas les mesures nécessaires, on n’avancera pas vite.

Ruth Vachon, présidente-directrice générale du RFAQ

Pour faire changer les choses

« Pour changer les mentalités ou les pratiques au sein de n’importe quel groupe, il faut un minimum de 30 % de femmes ou de minorités visibles, affirme Mme Constantinidis. Le rôle que vont avoir ces femmes est important, car elles seront un modèle pour les jeunes femmes qui envisagent de monter les échelons. »

Selon la professeure, seulement une ou deux femmes en poste de pouvoir dans un milieu professionnel, c’est insuffisant. Et lorsque c’est le cas, ces dernières possèdent « un statut à part des autres femmes ». Elles sont souvent considérées comme des « superwomen exceptionnellement brillantes et compétentes, auxquelles il est difficile de s’identifier ».

Directrice de la branche québécoise d’Accenture, entreprise de conseil établie dans plus de 120 pays, Martine Lapointe a fait ses études à HEC Montréal. Elle a toujours su qu’elle voudrait travailler dans le monde des affaires, mais ne s’imaginait pas au départ devenir dirigeante.

« Mon père était dirigeant, mais je ne pensais pas que c’était pour moi », raconte-t-elle en entrevue.

PHOTO DENIS GERMAIN, LA PRESSE

En début de carrière, il y avait [des modèles de leadership féminin], mais pas tant que ça. Aujourd’hui, je sais que je peux, que je suis capable, que j’amène quelque chose de différent sur le plan des compétences et de l’approche.

Martine Lapointe, directrice de la branche québécoise d’Accenture

Au Canada, 66 % des femmes ont un niveau d’éducation tertiaire, selon Statistique Canada. C’est le cas de 53 % des hommes au pays. Malgré tout, le genre féminin est sous-représenté pour les postes importants.

« Historiquement, les femmes ont moins d’expérience au pouvoir, mais ça ne veut pas dire qu’elles sont moins aptes. […] Ce n’est pas de la discrimination directe, c’est un biais inconscient qui nous amène vers des choix qui vont être plus masculins, note Christina Constantinidis. Et c’est difficile à changer parce que c’est plus ancré chez les individus. »

« Pas moins de 80 % des femmes qui [travaillent] sont dans les services, illustre Ruth Vachon. Si tu veux changer la donne, tu dois aller dans les écoles pour faire évoluer les pensées. C’est un effort qui doit venir de partout, du gouvernement, des organisations. »

Martine Lapointe croit que désormais, « les gens réalisent que ce sont les qualités et non pas nécessairement le genre » qui doivent être un critère d’embauche ou de promotion. Plusieurs études font par ailleurs état d’une corrélation directe entre le niveau de diversité d’une entreprise et ses résultats financiers, se réjouit-elle.

Qu’a-t-elle à dire aux jeunes filles qui souhaitent un jour diriger ?

« Allez-y, vous avez votre place. On a vraiment besoin de vous. »