L’Europe propulse son pacte vert pour lutter contre les changements climatiques. Les États-Unis tentent une relance avec Build Back Better. Des milliards de dollars seront dirigés vers le développement de nouvelles idées. Pendant ce temps, l’innovation est-elle une priorité au Québec ? La Presse en a discuté avec Sophie D’Amours, présidente du Conseil de l’innovation du Québec et rectrice de l’Université Laval.

Que voyez-vous à l’horizon ?

On anticipe une grande vague à la fois sociale, environnementale et technologique. Je pense que le Québec est très bien positionné pour tirer son épingle du jeu dans ce nouvel échiquier. Toutefois, pour se donner une impulsion économique post-crise, il faut nourrir l’écosystème de recherche fondamentale et soutenir les activités de transfert.

Le Québec a-t-il encore la réputation d’être une « nation de patenteux » ?

Pour moi, ce n’est pas péjoratif de parler de ce caractère innovant, mais aujourd’hui, cette envie d’innover doit prendre racine au plus haut niveau de la connaissance. Au-delà de notre « drive » à trouver quelque chose de nouveau, il faut pouvoir franchir le kilomètre supplémentaire. Par exemple, on ne peut pas trouver des idées exceptionnelles comme l’intelligence artificielle si on n’a pas toute la science derrière.

Comment faire ?

Si on ne forme pas davantage d’universitaires du deuxième cycle et qu’on n’arrive pas à garder ces personnes animées au Québec, elles risquent d’aller ailleurs, tout comme le capital. Si on veut faire venir des entreprises à la fine pointe des connaissances qui voudront investir avec nous et se développer dans des créneaux importants, il faut avoir le talent ici. On accuse un retard dans le nombre d’étudiants à la maîtrise et au doctorat dans plusieurs secteurs critiques.

Le Québec en fait-il assez pour innover ?

L’innovation n’occupe pas une place assez grande. On a des écarts avec d’autres provinces en matière d’intentions d’innover ou de projets d’innovation. Ce signal nous indique qu’on doit travailler davantage auprès des entreprises, leur faciliter la vie, être plus présent et établir plus de liens entre elles, les cégeps et les universités. Il faut rendre cet écosystème plus agile pour que nos entreprises aient les outils pour innover.

Quels sont les obstacles à l’innovation ?

Les entreprises doivent être convaincues de la nécessité de le faire. On doit mettre en évidence les succès d’organisations qui ont innové et qui perdurent. Ce défi de convaincre est bien réel. Au Québec, on a beaucoup de PME. Il faut qu’elles reconnaissent la valeur de l’innovation par rapport à leur survie, à leur capacité de se démarquer, à être plus productives et à dégager des marges plus importantes.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Il y a plusieurs domaines porteurs au Québec, dont le biomédical et les biotechnologies.

Hésitent-elles trop longtemps ?

Quand on parle des innovations dites de rupture, donc qui changent la société, c’est toujours un peu plus risqué. Il faut investir en amont et capturer le potentiel plus tôt dans le grand cycle d’invention, d’innovation et de commercialisation. On doit les soutenir plus tôt. Heureusement, il y a plusieurs domaines porteurs au Québec : le biomédical, les technologies propres, les nouvelles sources énergétiques. C’est ce qui va nous projeter dans un nouveau monde. Sans oublier nos industries bien installées dans le numérique, l’aérospatial et les ressources naturelles. Ainsi que nos forces en électricité, en biotechnologies, en agriculture, etc.

De quelle innovation êtes-vous la plus fière dans votre parcours ?

Dans ma pratique de recherche, j’ai créé avec mes collègues Forac, le premier consortium de recherche interdisciplinaire qui a uni des gens de génie, de sciences forestières, d’administration et d’informatique. Il a fédéré les forces vives de membres externes du gouvernement, d’entreprises forestières et d’organismes sans but lucratif avec les forces internes de nos équipes. On a mené des activités de recherche fondamentale et appliquée qui ont changé le cours des choses.

Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être la première rectrice de l’Université Laval ?

Avec le recul, j’ai réalisé comment cette nomination (2017) a changé la perspective pour les jeunes filles. Ça a rendu l’ambition plus normale chez les femmes. Également, je pense que ma façon de travailler est un peu différente. Je prône le travail en réseau, les modèles collaboratifs et comment on arrive à créer des espaces gagnant-gagnant quand on accepte d’aller là plutôt que de rester en silos.

À vos yeux, était-ce innovant d’étudier en génie mécanique à la fin des années 1980 ?

Je veux d’abord dire que c’est une innovation qui m’a fait choisir le génie mécanique. J’étais étudiante au cégep lorsqu’on a vu apparaître le premier cœur artificiel, Jarvik, une machine qui sauvait des vies. Ça m’a tellement animée ! J’ai alors compris que le génie mécanique pouvait apporter des solutions à la santé, au mieux-être, à notre mobilité, à l’environnement, etc. Quand j’ai étudié en génie, on était très peu de femmes. Encore aujourd’hui, c’est un beau domaine trop peu connu des jeunes filles. Pourtant, on peut changer le monde en faisant du génie.