Chaînes d’approvisionnement en déroute, crise de main-d’œuvre perpétuelle, cyberattaques et instabilité géopolitique : si les directions financières ont toujours été sous pression, ces deux dernières années de pandémie, d’inflation et de contrecoups liés à la guerre en Ukraine ont décuplé les entraves à la prévisibilité.

La résilience est de mise selon Martin Lebeau, président de FEI Canada, section Québec. « Notre rôle est de gérer les risques, et il y en a toujours. Cependant, les prévisions qu’on mettait à jour chaque mois en fonction des critères de risque doivent maintenant l’être chaque semaine. Désormais, il faut penser à ce qui n’est pas encore arrivé. »

Les défis du télétravail

Sans oublier les problèmes récurrents qui évoluent, comme celui de la main-d’œuvre. « Au Québec, on affronte deux types de pénurie : celle liée à l’immigration qui n’est pas arrivée et celle reliée à l’industrie du savoir. »

Il évoque les effets du télétravail dans le recrutement de certains cerveaux.

Les grandes entreprises californiennes qui veulent un ingénieur montréalais n’ont plus besoin qu’il déménage en Californie, alors elles font monter les enchères. Ça nous coûte très cher pour garder notre monde.

Martin Lebeau, président de FEI Canada, section Québec

L’augmentation des coûts de main-d’œuvre n’est qu’un des nombreux facteurs participant à l’inflation. « Par exemple, dans la chaîne d’approvisionnement en pièces électroniques pour des voitures, le manque de composants vient de la pandémie, de la demande importante, des feux survenus dans certaines usines, de la baisse de production à Taiwan et des problématiques de transport plus difficiles et onéreux. »

La relève au rendez-vous

Si les défis des équipes de finances sont nombreux, la relève est-elle présente pour les relever ? « La relève est en santé, répond Martin Lebeau. Cela dit, mes collègues et moi sommes conscients des difficultés à recruter et retenir les employés. On met plus de soin qu’avant pour faire attention à eux. »

Professeur à HEC Montréal, Shady Aboul-Enein sent un intérêt pour le secteur chez ses étudiants, mais il tient à nuancer sa réponse. « Je ne pense pas qu’on se lève un matin à 22 ans en disant : “Je veux devenir CFO [chef de la direction financière ou chief financial officer]”, à moins d’avoir été exposé à ça dans sa famille. »

PHOTO FOURNIE PAR HEC MONTRÉAL

Shady Aboul-Enein, professeur à HEC Montréal

Il renchérit en parlant de la grande anxiété qu’il sent chez les jeunes qui tentent de planifier leur carrière. « J’essaie de les rassurer et de les encourager à suivre leur cœur en premier. C’est un long parcours. D’abord, on se retrouve en entreprise en direction financière, sans que ce soit un poste très élevé. Puis, quand on voit que ce rôle pourrait nous intéresser, on développe des aptitudes et on gravit les échelons de fil en aiguille. »

Si les futurs professionnels de la finance sont nombreux à avoir obtenu un baccalauréat en comptabilité ou en finances, le professeur précise qu’il faudra davantage pour se démarquer : études de deuxième cycle, certification spécialisée, stages en entreprise, etc.

Par ailleurs, dans un milieu réputé pour être la chasse gardée des hommes blancs, les choses changent tranquillement. « Au conseil d’administration du FEI québécois, on atteint presque l’égalité hommes-femmes », explique M. Lebeau.

Les femmes occupent de plus en plus de postes importants en direction financière, même si les taux de femmes CFO demeurent bas. Puisque la relève dans les écoles est très féminine, c’est encourageant pour la suite.

Martin Lebeau, président de FEI Canada, section Québec

En matière de diversité culturelle, Shady Aboul-Enein est optimiste et cite la nomination de Jimmy Jean comme économiste en chef du Mouvement Desjardins.

« Il y a plusieurs autres personnes de couleur qui accèdent à ces postes. Selon moi, il n’y a pas ce type de barrières au Canada ou celles qui demeurent sont appelées à disparaître. »