Le mot « innovation » fait friser les oreilles à bien des gens. Comme il est souvent galvaudé, on perd parfois son essence. Qu’est-ce que la vraie innovation ? On en discute avec trois pros. 

Faire pousser des fraises en janvier, au Québec. On peut se demander si c’est de l’innovation ou de la folie. C’est pourtant ce que fait Ferme d’Hiver, à Vaudreuil-Dorion. Sa ferme verticale de fraises est complètement indépendante des conditions climatiques.

« Grâce à des capteurs, on observe le cycle circadien des plants et on leur donne la lumière dont ils ont besoin pour réaliser la photosynthèse et on arrête lorsqu’ils sont rendus au bout de leur cycle parce que de toute façon, ils ne l’absorberaient pas », explique Yves Daoust, fondateur et chef des technologies de Ferme d’Hiver.

L’entreprise a aussi dû innover en créant ses systèmes d’éclairage et de contrôle climatique. Plutôt que de faire affaire avec des équipementiers, Ferme d’Hiver a acheté les différentes composantes directement chez les manufacturiers, pour ensuite faire fabriquer ses systèmes et les breveter.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Yves Daoust, fondateur et chef des technologies de Ferme d’Hiver

Cela nous a permis de réduire presque de moitié les coûts, et c’est important, parce que la marge de profit n’est pas élevée en agriculture et nous voulions pouvoir vendre nos paniers de fraises à des prix compétitifs.

Yves Daoust, fondateur et chef des technologies de Ferme d’Hiver

Résultat : 700 paniers de fraises sont maintenant cueillis chaque jour dans la ferme verticale et vendus chez IGA.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Quelque 700 paniers de fraises sont cueillis chaque jour à la Ferme d’Hiver.

« On a 13 fois la capacité de production d’une serre, et nos fraises ont le même bon goût que les fraises d’été du Québec », précise M. Daoust.

L’innovation se poursuit : Ferme d’Hiver a obtenu 2,9 millions de dollars de Technologies du développement durable Canada. Elle souhaite notamment développer avec différents partenaires universitaires le projet CERVEAU, un système de contrôle de la production basé sur l’intelligence artificielle.

Nouveaux produits et nouveaux processus

Une entreprise n’est toutefois pas obligée d’aller aussi loin technologiquement pour innover. Luc Sirois, innovateur en chef du Québec, explique qu’il y a deux façons d’innover : créer de nouveaux produits ou services et mettre au point de nouveaux processus.

Or, il semble que le Québec ait du chemin à faire dans les deux avenues. Un sondage Léger commandé l’an dernier par l’innovateur en chef révélait que 30 % des entreprises québécoises avaient développé en 2020 de nouveaux produits ou services. C’était 15 % pour les nouveaux processus. Un nouveau sondage est en cours pour voir s’il y a eu de l’amélioration en 2021.

« Il faut que plus d’entreprises innovent, affirme M. Sirois. Le PIB au Québec est autour de 48 000 $ par habitant, versus 56 000 $ en Ontario. Cela signifie que les entreprises ontariennes créent plus de valeur ajoutée. Puis, c’est certain qu’on ne peut pas comparer le Québec avec Silicon Valley et Boston, mais on peut le faire avec des pays comme la Finlande, la Suède, les Pays-Bas et la Norvège. Actuellement, les meneurs commencent à courir plus vite, alors que le Québec prend du retard. »

Les freins et les accélérateurs pour l’innovation

L’un des freins à l’innovation, d’après Luc Sirois, est le manque de recherche et développement dans les entreprises.

Les gestionnaires en innovation savent que lorsqu’on met en place un projet, on a une chance sur dix qu’il soit rentable. Il faut donc faire dix petits projets pour qu’un fonctionne. Mais souvent, la direction de l’entreprise veut investir dans un seul grand projet. C’est très risqué. Comme au hockey, on a peu de chances d’entrer la rondelle dans le filet, alors il faut faire plusieurs lancers.

Luc Sirois, innovateur en chef du Québec

Pour avoir plusieurs projets sur la table, il faut aussi une culture de l’innovation, selon Pascal Monette, PDG de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ). « Il faut briser les silos dans les entreprises, amener les gens à travailler ensemble, laisser de l’espace pour la créativité. »

Il suggère aussi de former un conseil d’administration ou un comité consultatif qui sortira les dirigeants de leurs activités quotidiennes pour les mettre au défi quelques fois par année, notamment sur leurs projets innovants.

Il ne faut pas négliger non plus la propriété intellectuelle. « Les entreprises doivent être proactives pour la protéger plutôt que de s’en tenir à consulter un avocat en cas de problème », affirme M. Monette.

S’il y a des défis, il y a aussi des forces bien présentes au Québec. Le gouvernement déposera d’ailleurs prochainement la nouvelle mouture de la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation.

« Le Québec est un terrain fertile pour l’innovation avec ses talents, l’accès aux capitaux et la présence de plusieurs universités qui font des recherches dans le domaine, affirme Luc Sirois. Il reste à mieux réaliser le transfert de ces éléments dans les entreprises. »