Ingénieure mécanique et entrepreneure, Émilie Nadeau est la chef d’orchestre de deux importants projets qui verront le jour d’ici 2023. On parle de la première usine de recyclage de batteries lithium-ion au Québec et d’un centre de développement technologique de pointe. Des réalisations rendues possibles grâce à un financement pouvant atteindre 125 millions de dollars.

« Mon titre est vice-présidente aux projets capitaux. En gros, je m’occupe de structurer les projets, de la coordination d’équipes, de la recherche de terrains et surtout du budget », explique l’ingénieure. Une tâche loin d’être simple lorsque l’on essaie de convaincre des investisseurs de s’impliquer dans un marché qui n’existait pas il y a cinq ans.

La naissance d’un marché

Juillet 2017. Cette actionnaire chez Seneca, une firme de génie-conseil spécialisée en procédés industriels, fait une recherche sur l’internet pour dénicher des entreprises spécialisées dans le recyclage des batteries de voitures électriques. Le constat est surprenant : ce marché est pratiquement inexistant. Naît alors l’idée de trouver une façon de recycler ces batteries. « La recette, les ratios, le temps de cuisson ne seront pas les mêmes pour 10 tartes versus 10 000, il faut alors intégrer des procédés industriels, et c’est ça notre force. Notre expertise est d’accompagner nos clients, des laboratoires à la commercialisation. Nous nous sommes dit qu’avec notre expérience, on était capables de trouver le bon procédé pour recycler des batteries », explique l’ingénieure.

Du test au mélangeur à une usine pilote

Cette fois, la recette consiste à ressortir tous les minéraux présents dans la batterie, un peu comme s’il fallait extraire le lait, la farine, les œufs et la poudre à pâte d’une crêpe. « On s’est inspirés des vidéos de l’entreprise Vitamix. On a mis des batteries dans le mélangeur que nous avions au bureau et une poudre en est sortie. On a poursuivi notre recherche, puis on a apporté la poudre au Centre d’études des procédés chimiques du Québec (CEPROCQ) du cégep de Maisonneuve pour tester notre procédé », raconte l’ingénieure.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Émilie Nadeau, vice-présidente aux projets capitaux chez Recyclage Lithion

L’expérience a été concluante : deux mois plus tard, l’équipe a déposé une demande de brevet et d’autres tests ont suivi. Un an plus tard, c’est une usine-pilote au coût de 12 millions qui voyait le jour. « Nous étions principalement deux sur le projet, Benoit Couture, PDG de Seneca, et moi. Il nous a fallu des heures et des heures pour convaincre les gens d’investir, parce que si tout est bien structuré pour recycler une voiture à essence, personne n’avait jamais pensé qu’il y aurait un problème avec le recyclage de batteries pour les véhicules électriques. »

Avec l’usine-pilote, l’équipe de Seneca a fondé une nouvelle entreprise, Recyclage Lithion, et elle a peaufiné ses procédés techniques atteignant un haut niveau de pureté des matériaux.

Notre pourcentage de recyclage des composantes présentes dans une batterie est de 95 %. Cela permet de remettre ces minéraux au début de la chaîne de fabrication et ainsi de limiter la production de GES et l’extraction de minerais.

Émilie Nadeau, vice-présidente aux projets capitaux chez Recyclage Lithion

25 usines et de 10 % à 15 % du marché nord-américain

Seneca évalue que le marché de recyclage de batteries représente actuellement 3,6 milliards de dollars et devrait atteindre 10,7 milliards d’ici 2026. Devant cette croissance anticipée, Recyclage Lithion a un objectif ambitieux de déploiement mondial par l’entremise d’accords de licence. L’entreprise vise 25 usines de recyclage d’ici 2035, ce qui représente de 2 à 3 % des parts de marché de la planète, mais de 10 à 15 % du marché nord-américain. Des licences qui vont fonctionner un peu à l’image des franchises.

En attendant, Émilie Nadeau est en mission. Elle doit s’assurer que tous les morceaux s’imbriquent les uns dans les autres en respectant les délais, le budget prévu et malgré la pandémie, l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre. « On ne peut rien mettre sur la glace. Le Centre technique de recherche est un incontournable, car le marché de la batterie évolue très vite. Nous n’aurons pas le choix de soutenir nos licenciés avec de nouvelles connaissances technologiques. Il faut rester les leaders, et c’est mon travail de faire en sorte que les deux projets fonctionnent. »