Début janvier 2021, en pleine pandémie. Michel Cadieux, 57 ans, est fébrile : il s’apprête à céder son entreprise à Benoît Sylvestre, 42 ans, son principal associé.

« J’étais prêt à passer à autre chose, j’étais rendu là », raconte après coup l’entrepreneur qui tenait commerce depuis un quart de siècle à Saint-Hyacinthe.

Mais il ajoute aussitôt : « À cause de la pandémie, j’ai bien cru que ça n’allait pas se réaliser, que mon associé allait renoncer à son projet d’acquisition de mon entreprise. »

Quatre mois plus tard, Michel Cadieux se félicite d’avoir passé le flambeau au bon moment. « Les [10] employés sont contents, ils ont même poussé un soupir de soulagement quand la transaction s’est conclue », évoque-t-il.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Camémat est spécialisée dans la transformation et la distribution de planchers de balcons synthétiques.

Plus encore : il constate que le nouveau propriétaire de l’entreprise Camémat — spécialisée dans la transformation et la distribution de planchers de balcons synthétiques — a cette capacité de « gérer le risque » et qu’il a la fibre d’un entrepreneur, tout comme lui.

« À preuve, précise-t-il, l’entreprise a affiché le meilleur trimestre de son histoire au cours des trois premiers mois de 2021. En fait, les ventes ont triplé ! Tout cela dans un contexte de pandémie où les gens restent à la maison et dépensent de fortes sommes pour améliorer leur environnement extérieur [en vue de la belle saison]. »

Pas un cas unique

Au cours de la dernière année — une année marquée par des fermetures et des réouvertures de commerces —, nombreux ont été les entrepreneurs proches de la retraite à considérer encore plus sérieusement l’option de vendre leur entreprise, à l’interne ou à un membre de la famille.

« Ceux qui ont subi les contrecoups de la pandémie et qui s’en sont sortis n’ont plus d’énergie pour continuer et rebondir, résume Vincent Lecorne, PDG du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ). On le constate, ils n’ont plus envie de faire des efforts supplémentaires pour revamper leur entreprise et lui donner un nouvel élan. »

Il ajoute : « Ces entrepreneurs veulent vendre maintenant. Ils ne sont pas prêts à subir une autre crise sanitaire. »

Au cours de la dernière année, en raison de la COVID-19, il y a eu une baisse du nombre de dossiers de transfert d’entreprise, mais le marché du repreneuriat est demeuré actif, malgré tout.

Vincent Lecorne, PDG du CTEQ

Deux fois plus de transferts

Chose certaine, relève pour sa part Marc Duhamel, professeur de microéconomique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, il faut s’attendre à ce qu’il y ait deux fois plus de transferts d’entreprises dans un avenir rapproché.

Chiffres à l’appui, il signale qu’en août 2020, pas moins de 15 000 dirigeants de PME ont manifesté l’intention de vendre leur entreprise « d’ici à la fin de 2021 ».

« Ça révèle l’urgence de la situation, dit-il. Et ça démontre que les entrepreneurs sont fatigués, voire exténués. »

Le professeur est inquiet. Il évoque « le spectre des fermetures, réel et concret », si les entreprises « à vendre » ne trouvent pas preneurs.

« Ça signifierait mettre la clé sous la porte et ce serait une perte de performance importante pour l’économie québécoise », prévient-il.

Besoin de s’adapter

Quoi qu’il en soit, les vendeurs et les repreneurs devront trouver un compromis et s’adapter à la nouvelle réalité sanitaire.

« C’est déjà commencé, fait valoir Vincent Lecorne. Ça fait des mois que des entreprises se vendent en ligne, sans que l’acquéreur visite les installations, sans même rencontrer les employés. »