La Fondation familiale Trottier souhaitait verser de l’argent au collectif La planète s’invite à l’Université pour la tenue de la marche pour le climat. En revanche, la Loi de l’impôt sur le revenu l’en empêchait : il aurait fallu que ce regroupement soit enregistré comme un organisme de bienfaisance à l’Agence du revenu du Canada (ARC). Elle s’est donc tournée vers la Fondation David Suzuki, coorganisatrice de l’événement, qui était enregistrée et pouvait accepter ses dons. Les sommes ont finalement servi à couvrir des frais du montage de la scène sur laquelle Greta Thunberg s’est adressée à la foule montréalaise le 27 septembre dernier.

« Si la Fondation David Suzuki avait dit non, ça aurait été impossible pour nous de financer ce projet », soulève Éric St-Pierre, directeur général de la Fondation familiale Trottier. La conclusion a été heureuse, mais il n’en est pas toujours ainsi. « Il y a plein de projets qui n’ont pas avancé parce qu’ils n’ont pas reçu notre financement. » Sa fondation soutient des projets en éducation et en santé, mais aussi en environnement. Dans ce dernier domaine, « il y a des organismes qui ne sont pas enregistrés et qui font vraiment du bon travail, mais légalement, ce n’est pas possible de les soutenir », déplore-t-il.

Pas un cas isolé

Cette contrainte constitue l’une des raisons qui poussent le milieu philanthropique à demander au gouvernement fédéral de lever des obstacles juridiques et réglementaires à leurs activités. La Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l’Australie ont tour à tour adopté des Charities Acts au cours des 15 dernières années. Ici, les 86 000 organismes de bienfaisance du pays sont uniquement régis par la Loi de l’impôt sur le revenu et supervisés par l’ARC. « Les règles sont faites pour empêcher la fraude, mais il n’y a pas d’encadrement qui donne les outils nécessaires à ce secteur pour qu’il puisse s’épanouir », soulève Hilary Pearson, ancienne présidente de Fondations Philanthropies Canada (FPC).

Selon elle, le cadre actuel ne prend pas en compte la nécessité dans le secteur de collaborer afin de résoudre des problèmes complexes.

Si une fondation veut donner des sommes dans une communauté autochtone, souvent, on n’y trouve pas d’organisation de bienfaisance enregistrée.

Hilary Pearson, ex-présidente de Fondations Philanthropies Canada

Pour y financer un projet, une fondation serait, selon les règles en vigueur, dans l’obligation de diriger et contrôler les dépenses à la place des groupes locaux. « Ça va contre l’idée de partenariat, déplore-t-elle. Quand on est partenaire, on ne contrôle pas. On échange, on travaille ensemble et on met des ressources en commun. »

Hilary Pearson copréside actuellement le Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance, auquel siègent des représentants de l’ARC et du milieu philanthropique. Celui-ci a été mis en place par le gouvernement fédéral en août dernier pour entendre les préoccupations du secteur. Deux mois plus tôt, un comité sénatorial spécial avait dévoilé un rapport à ce sujet dans lequel se trouvaient 42 recommandations. L’une d’elles invitait l’Agence du revenu du Canada à mettre en œuvre un projet-pilote dans le but de permettre aux organismes enregistrés de faire des dons à des bénéficiaires non reconnues ou sans vocation de bienfaisance.