Huit rencontres avec des gens d'affaires qui se dépassent et font autrement, souvent dans des sphères extérieures à leur champ d'activités principal. Simplement pour accomplir quelque chose de plus. Pour eux, pour d'autres, pour nous tous.

Chaque parole de Manon Barbeau est appuyée par des gestes délicats, dans une chorégraphie toute de fluidité. Comme portée par quelque irrépressible rythme intérieur.

La fondatrice et directrice de Wapikoni mobile était d'abord scénariste et réalisatrice - Les enfants de Refus global, L'armée de l'ombre...

Par la force des choses et du sort, elle est devenue entrepreneure.

Une entrepreneure sociale, précise-t-elle: «Quelqu'un qui est moins préoccupé par le profit que par la cause.»

La cause s'est imposée à elle. Toute l'histoire se résume dans le nom de l'organisme.

«Wapikoni veut dire fleur, en attikamek. C'était le nom d'une jeune fille de 20 ans.»

En 2003, Manon Barbeau préparait avec un groupe de 15 Attikameks un film de fiction, intitulé La fin du mépris. Wapikoni, enthousiaste et pleine de vie, était l'âme du groupe.

«Dans une communauté où il y avait un taux de suicide alarmant, elle incarnait l'espoir, la lumière, l'altruisme.» Après un an de travail de scénarisation, la jeune femme est morte dans un accident de la route. Le projet de film s'est éteint avec elle.

«On a abandonné le scénario et j'ai créé, avec le Conseil de la Nation Atikamekw et avec les jeunes de l'Assemblée des Premières Nations, le Wapikoni mobile, ce premier studio ambulant de cinéma et de musique, qui va à leur rencontre.»

Si c'est un terrible coup du sort qui a amené Manon Barbeau à faire ce beau geste, son intérêt pour les communautés autochtones, lui, n'était pas fortuit.

«Je pense que c'est d'abord un intérêt pour l'humain, et parmi les humains, pour les marginalisés», indique-t-elle.

Le sujet la touche intimement. «Mon père était signataire du Refus global. C'était vraiment un groupe de marginaux qui ont vécu de façon marginale, mais qui nous a aussi marginalisés, nous, les enfants de Refus Global.»

Elle avait déjà réalisé des films sur les jeunes de la rue, les prisonniers et la faune des ruelles urbaines, quand elle a tourné son regard vers les autochtones de la Côte-Nord.

«J'ai vu un monde complètement à part, et je n'ai pas compris. Il y avait comme une petite planète à l'intérieur de notre planète Québec. On ne leur parlait pas et ils ne nous parlaient pas.»

Wapikoni mobile établira la communication.



Baume et tremplin


Nouvellement déménagé au quatrième étage d'un ancien immeuble industriel d'Outremont, le siège social de Wapikoni mobile vibre d'un enthousiasme contagieux. Dans le grand local, peu de cloisons - un symbole de sa mission, sans doute.

Après 10 ans d'existence, Wapikoni mobile compte maintenant 14 employés permanents. Ses quatre véhicules récréatifs, aménagés en studios de qualité professionnelle, ont jusqu'à présent visité 25 communautés autochtones au Québec.

Le studio s'installe pour une escale cinq semaines. Les 25 à 30 jeunes participants font eux-mêmes le tournage et le montage de leur film, soutenus par une équipe de formateurs et intervenants.

Les films sont d'abord présentés dans leur communauté, puis à Montréal, au Festival du nouveau cinéma. Certains parcourront ensuite le monde. «Leurs films deviennent des ambassadeurs de leur culture et c'est en train de constituer un patrimoine extraordinaire», souligne la directrice.

Ces films ont aussi un effet sur leurs auteurs et leurs communautés. «Je pense qu'on arrive individuellement à contourner le suicide pour certains d'entre eux, à contourner la toxicomanie puis le désespoir et le désoeuvrement pour plusieurs, à leur donner des projets de vie, à leur donner de l'espoir», exprime Manon Barbeau.



Un autre scénario


Avec Wapikoni mobile, Manon Barbeau a infléchi sa carrière pour lui donner un autre sens.

«Mon défi, c'est que je ne suis absolument pas gestionnaire. Moi, j'ai toujours écrit de la poésie, c'est un monde qui est aux antipodes. Heureusement que j'ai une équipe magnifique qui m'entoure, et que je sais où je veux aller.»

Wapikoni mobile lui laisse peu de temps pour sa propre activité créatrice, mais elle y trouve tout de même son compte. Elle a vu, commenté et soutenu chacun des 678 films réalisés jusqu'à présent. «Ça fait partie, pour moi aussi, d'un grand processus de création globale, il y a une grande satisfaction, même si ça demande beaucoup d'énergie.»

«C'est clair que je m'accomplis, ajoute-t-elle. Tous ces films-là, c'est des cadeaux pour moi.»

Puis, une nuance: «Il y a une chose qui me manque, plus que la création, c'est la contemplation, le temps pour contempler.»

Ralentir le geste... Dans 10 autres années, peut-être.

Wapikoni mobile en quelques chiffres



- 14
employés permanents

- 4 studios mobiles dont 2 actives dans les communautés des Premières Nations

- 3000 participants depuis 10 ans

- 9 nations

- 25 communautés visitées

- 678 films

- 400 pièces musicales

À l'UNESCO

Manon Barbeau a été choisie pour représenter le Canada à une exposition organisée par l'UNESCO, à Paris, du 7 au 21 mars dernier, dans le cadre de la Journée internationale de la femme. L'exposition célébrait le parcours de neuf femmes provenant de neuf pays. Des films de Manon Barbeau et du Wapikoni mobile y ont été présentés.