Devant l'imminence d'un accord économique et commercial global (AECG) entre l'Union européenne et le Canada, les entreprises québécoises peaufinent leurs stratégies pour conquérir de nouveaux marchés outre-mer. Les signaux sont positifs, comme l'a exprimé à la mi-mars le premier ministre français Jean-Marc Ayrault, qui participait à Montréal à la 17e rencontre Québec-France en présence de la première ministre du Québec, Pauline Marois. La Presse Affaires tente de cerner les enjeux économiques que présente le marché de l'Europe, dans un dossier qui se déploie en quatre volets.

Ouvrir des franchises en France est une chose; investir seul ou avec l'aide d'un partenaire européen en est une autre. Julie Bergevin et Gaétan Migneault ont misé sur le partenariat, avec un associé «local», parce qu'ils voulaient s'assurer d'avoir tous les atouts en main pour réussir leur percée dans l'Hexagone.

«Nous sommes perçus comme une entreprise canadienne qui a une couleur locale très forte, et cela est attribuable à la présence sur le terrain de notre partenaire français», résument les copropriétaires du Groupe Adèle.

L'entreprise lavalloise vient tout juste de débarquer en France, avec vadrouilles et balais, pour y faire des affaires et le grand ménage. Elle compte créer jusqu'à 3500 emplois sur cinq ans avec son concept d'entrepreneurs franchisés dans les services ménagers. L'objectif avoué: développer une Adèle «made in France» en s'appuyant sur le succès de la PME québécoise créée il y a 19 ans et qui compte sur un réseau de plus de 125 franchisés.

Pour accélérer sa pénétration du marché, la société française aura recours à une quinzaine de «masters franchisés» qui vendront des franchises, en plus de former les nouveaux membres de la famille élargie. Comme au Québec, Adèle en France entend vendre les franchises clés en main.

«Nous avons la volonté ferme de réussir dans ce marché prometteur et nous savons que notre concept va marcher, prédisent-ils. Nous nous y sommes bien préparés.» Enthousiastes à souhait, Julie Bergevin et Gaétan Migneault ne «ménagent» par les superlatifs pour parler de leur projet. Ils visent d'abord la France, mais ils ont aussi des visées sur six autres pays d'Europe.

Passer dans les recoins

Les deux copropriétaires voient ainsi leur projet se matérialiser après plus de deux ans de démarches pour tout mettre en place. «Investir en Europe, ça n'a rien à voir avec une expansion dans une province canadienne, conviennent-ils. Il faut prévoir de nombreux allers-retours pour voir si tout se passe comme on le souhaite. Il faut enregistrer nos marques de commerce, trouver des avocats, des comptables, des fiscalistes. Ça demande de la patience et une compréhension plus fine de toute la réglementation.»

De façon imagée, Gaétan Migneault souligne qu'ouvrir un compte bancaire en France, «ça peut ressembler au parcours du combattant et aux Douze travaux d'Astérix».

Pourquoi avoir décidé d'exporter le concept québécois chez nos voisins français? «Tout s'est passé très vite, admettent-ils après coup. C'est après avoir participé à Expo Paris 2010, dans le cadre d'une mission organisée par le Conseil québécois de la franchise, que nous avons décidé de foncer. Il y avait constamment des files d'attente à notre kiosque. De toute évidence, notre concept était attirant.» Dès lors, ils se savaient sur la bonne voie.

La suite des choses a consisté en une série d'actions concrètes. Le Groupe Adèle a été mis en contact avec l'Agence française pour les investissements internationaux, dont le rôle est de cibler et d'accompagner des entreprises de l'étranger qui ont des projets d'investissement, d'implantation et de création en France.

Les Québécois sont bien perçus par le milieu des affaires en France. «Nous jouissons d'un fort capital de sympathie, constatent-ils. Nous sommes reconnus comme des fonceurs, des gens qui innovent et qui sont structurés. En plus, on parle français et notre accent est attrayant!»

Les 10 produits québécois les plus exportés vers l'Union européenne

Turboréacteurs, turbopropulseurs et autres turbines à gaz: 710 M$

Avions et autres véhicules aériens: 695 M$

Huiles de pétrole (autres que huiles brutes): 555,6 M$

Aluminium sous forme brute: 469,2 M$

Fèves de soya, même concassées: 419,7 M$

Minerais de fer et leurs concentrés (y compris les

pyrites de fer grillées: 409,3 M$

Parties des avions et autres véhicules aériens: 353,8 M$

Cendres et résidus (autres que ceux issus de la fabrication

de fer ou de l'acier): 296,7 M$

Minerais de cuivre et leurs concentrés: 131,3 M$

Parties destinées aux appareils d'émission

(radiodiffusion ou télévision): 106,7 M$

(Source: ministère des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur- 2012)

Marché marginal pour la PME: un accord économique et commercial pourrait faciliter les contacts

L'Europe demeure un marché marginal pour les PME exportatrices, qui continuent de miser sur les États-Unis pour stimuler leurs ventes. En mars 2012, un rapport de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) a confirmé ce qu'on savait déjà: encore peu de PME, au Québec et dans l'ensemble du pays, entretiennent des liens commerciaux avec l'Europe.

«Nous croyons toutefois que les choses peuvent changer avec la ratification d'un accord économique et commercial global (ARCG) avec l'Union européenne, analyse Simon Gaudreault, économiste à la FCEI. Cela pourrait inciter un plus grand nombre de PME à aller en Europe pour diversifier leurs marchés.»

Le rapport de la Fédération tentait de cerner les enjeux et de mieux comprendre les préoccupations des dirigeants de petites et moyennes entreprises. Essentiellement, les PME présentes en Europe - ou qui envisagent de faire la grande traversée - critiquent la lourde réglementation en vigueur et les coûts élevés pour y faire des affaires. Autant d'obstacles qui en découragent plusieurs et qui contrarient les chefs d'entreprises aux prises avec ces obstacles au commerce.

Le nouvel accord réduira-t-il la pression pour inciter plus de PME à prendre le premier avion et négocier des partenariats avec des joueurs européens? Simon Gaudreault ne peut se prononcer, mais il concède qu'il y a «forcément des gains importants à faire, et ça peut se faire assez rapidement».

«C'est sûr qu'on voit l'arrivée d'un accord d'un très bon oeil, convient-il. Nos membres ont été nombreux à nous dire, dans un sondage, qu'ils comptent hausser le volume de leurs exportations au cours des trois prochaines années.»