N'écoutez pas les prophètes de malheur: l'euro est toujours vivant et même bien en santé. Et loin de mener à une fragmentation de l'Europe, la crise actuelle devrait conduire à une intégration plus profonde du continent.

C'est la thèse qu'a défendue à Québec le mois dernier Philippe Maystadt, ancien président de la Banque d'investissement européenne.

«Il n'y a pas de crise de l'euro, a lancé M. Maystadt devant une assemblée formée des plus importants investisseurs de la planète. L'euro est une devise forte - peut-être même trop forte. Plus forte, en tout cas, que ce qu'on prévoyait au moment de son lancement. L'euro est de plus en plus utilisé dans les transactions internationales, et demeure la deuxième monnaie de réserve dans le monde.»

Surtout, a dit M. Maystadt, l'euro continue de servir une population de plus en plus mobile, particulièrement les jeunes.

Plutôt qu'une crise généralisée de l'euro, nous assistons actuellement à une série de petites crises à l'intérieur de la zone euro, croit M. Maystadt. Des crises qui s'expliquent par une intégration insuffisante des politiques économiques de la zone et dont les remèdes ont déjà commencé à être administrés.

M. Maystadt a comparé l'Europe à un homme qui boite parce qu'il a une jambe forte et une jambe faible. Sa jambe forte est sa politique monétaire unie. Sa jambe faible est formée des différentes politiques économiques adoptées par chacun des pays, des politiques «qui demeurent nationales, non coordonnées, parfois contradictoires».

L'homme a qualifié les dirigeants qui ont ratifié le traité de Maastricht de «politiquement schizophrènes». «Ils ont accepté une union monétaire qui, par définition, est un sommet d'intégration, mais ont voulu garder leur souveraineté sur les affaires économiques, fiscales et financières», a-t-il dit.

«Ce modèle a atteint ses limites et pose une série de menaces sur l'avenir de l'Europe», a-t-il ajouté.

Quatre déficiences

Précis, passionné, M. Maystadt a présenté à l'auditoire quatre «déficiences» de la structure européenne actuelle et montré que des correctifs ont déjà été apportés à la plupart d'entre elles.

D'abord, a-t-il dit, le Pacte de stabilité et de croissance adopté par les membres a mis l'accent uniquement sur la discipline budgétaire, en oubliant les autres politiques économiques comme les problèmes de compétitivité et le niveau de la dette privée. C'est ainsi que personne n'a vu venir la crise de l'Irlande, par exemple. La dette publique de ce pays ne représentait que 12% de son PIB au moment où il est tombé en difficulté, mais sa dette privée, notamment celle des banques, atteignait des proportions inquiétantes.

«Il y avait une croyance quasi religieuse que seuls le déficit et la dette publics comptaient», a dit M. Maystadt.

Le deuxième problème pointé par M. Maystadt touche la gouvernance. Des pays comme la France et l'Allemagne ont pu briser les règles budgétaires sans subir de sanctions. Troisième problème: l'absence de mécanisme de résolution de crise. Le quatrième point soulevé est le fait que la supervision du système bancaire soit demeurée nationale, alors qu'elle aurait dû être paneuropéenne, selon M. Maystadt.

Selon lui, la plupart des problèmes ont déjà commencé à être réglés. Il a d'ailleurs fustigé la presse anglo-saxonne, qui, selon lui, annonce à tort la mort de l'euro.

«Il y a une sous-estimation du désir politique de continuer avec l'euro», a-t-il dit.

«L'euro survivra, a-t-il martelé. Les leaders européens sont en train de prendre les mesures nécessaires. Il est presque certain qu'un nouveau type d'union émergera de la crise actuelle. Mais ça ne demande pas la création d'un État européen. Nous n'avons pas besoin de créer les États-Unis d'Europe.»

M. Maystadt a plutôt plaidé pour un nouveau cadre fédéral européen qui respectera l'autonomie des divers pays.

«Une monnaie commune requiert autant de fédéralisme qu'il est nécessaire pour la faire fonctionner, a-t-il lancé en conclusion. Pas plus. Et c'est ce qu'on appelle une fédération d'États-nations.»