Sempiternelle tension typique des coopératives: les membres veulent du service et des bas prix tandis que les cadres cherchent le meilleur rendement.

«Dans toutes les coops du monde, c'est le même problème, résume Tarek Mansour, associé chez McKinsey Canada. Les membres veulent que les excédents soient systématiquement réinvestis dans la communauté tandis que les cadres pensent à l'avenir. N'y a-t-il pas un autre placement plus rentable qui assurerait mieux la pérennité de l'institution?»

Nicolas Marcoux, associé et leader national, transactions, pour PwC, est d'accord. «C'est vrai qu'il y a une tension constante sur l'usage des capitaux, dit-il. Réinvestir dans l'économie du Saguenay ou acheter un Credit Union albertain?»

Prenons le cas de Desjardins, la plus connue des coops québécoises. «Quand vous contrôlez 40% du marché, souligne Benoît Tremblay, directeur du Centre d'études Desjardins à HEC Montréal, vous commencez à ressembler à une banque. Et il y a de fortes chances que vos rivales commencent à imiter vos comportements. Il faut préserver ses valeurs dans une économie de marché qui en a d'autres.»

Les coops affichent des valeurs qui leur sont propres: démocratie, équité, solidarité, parmi bien d'autres.

«Si vous comparez la rémunération de Monique Leroux avec celles des dirigeants des banques, vous ne trouverez pas d'options d'achat d'actions dans son portefeuille. Dans une coop, le principe de la propriété collective est incontournable.»

La notion de profit n'a pas non plus le même sens dans une coopérative que dans une entreprise privée. «Pour toutes les coops que je connais, le profit est un résultat, non l'objectif fondamental», assure Tarek Mansour.

De plus, une partie des profits (qu'on appelle excédents) sont redistribués en partie aux membres sous forme de ristournes.

«Comme la recherche frénétique du bénéfice à court terme n'est pas si obsédante pour un cadre de coop, il ou elle peut se consacrer davantage sur le moyen et le long terme», dit-il.

Cela dit, toutes le coops ne sont pas pareilles. «Une coop alimentaire, par exemple, peut redistribuer les fonds autogénérés immédiatement à ses membres, dit M. Mamsour. Une mutuelle d'assurance doit avoir un coussin important pour les coups durs. Cela affecte la gouvernance et les valeurs concrètes.»

Démocratie sous tension

Au sein d'une coopérative, la croissance crée ses propres crises identitaires et de valeurs.

Prenons, à nouveau, l'exemple de Desjardins. «Il va de soi que dans une caisse pop la gouvernance démocratique est immédiate, dit Suzanne Gendron, vice-présidente, soutien à la présidence du Mouvement Desjardins. On va à l'assemblée, on propose et on vote. Mais dès qu'on parle de fédérations, de délégués, de représentants, l'immédiateté et la proximité s'amenuisent. Et il se crée une distance entre les membres et la direction.»