L'innovation ouverte est un concept relativement jeune dont la paternité reviendrait à Henry Chesbrough, de l'Université Berkeley. L'Allemand Frank Piller s'y intéresse depuis déjà plus de 10 ans. Au point d'être devenu une sommité en la matière.

L'innovation ouverte signifie qu'on ne compte plus uniquement sur les ressources internes d'une entreprise pour innover ou régler des problèmes techniques ou technologiques, mais qu'on s'ouvre dorénavant aux sources extérieures, notamment les clients, les fournisseurs, les universités, voire des gens dont on ignorait l'existence. Frank Piller est professeur au Technology&Innovation Management Group à l'Université d'Aachen, en Allemagne. Il est également membre de la faculté du Smart Customization Group au MIT de Boston. Nous l'avons joint à Hong Kong, où il est l'invité de la Hong Kong University of Science and Technology (HKUST).

Q Pourquoi vous intéressez-vous à l'innovation ouverte?

R Mes travaux portent sur le mass customization, c'est-à-dire la personnalisation de la production, un peu comme Dell le fait pour ses ordinateurs, ou Adidas, quand il permet aux consommateurs de dessiner leurs propres chaussures de sport. Mais je me concentre surtout sur l'innovation ouverte, car c'est à mon avis la nouvelle façon de penser. D'ailleurs, ce terme est utilisé à toutes les sauces. Certains croient que l'innovation ouverte, c'est faire appel à ses fournisseurs, ses sous-traitants ou à des centres de recherche universitaires. Peut-être. Mais je crois plutôt que cela va beaucoup plus loin, que c'est lorsqu'on travaille avec une organisation ou une personne qu'on ne connaissait pas avant. Quand on a un problème à régler, on le fait connaître, on le diffuse. Que ce soit à grande échelle ou en passant par des canaux spécialisés comme Innocentive ou Ninesigma. Cela dit, passer par ce type de canaux coûte plutôt cher, 200 000$ et plus . Mais pour les plus petites entreprises, il y a d'autres façons de s'organiser. Enfin, certaines entreprises font des appels à tous en restant anonymes, de peur de se faire prendre leurs idées, alors que d'autres n'ont pas peur de se nommer. Cela dépend de la culture de l'entreprise.

Q L'innovation ouverte est-elle plus pertinente que jamais?

R En général, je dirais que oui. Les technologies ont tellement évolué que les entreprises ont besoin d'aide si elles veulent continuer à suivre. Vous savez, qu'on soit une très grande ou une petite entreprise, les clients nous demandent désormais des solutions et non plus seulement des produits. Or, quand on vend des solutions, on a besoin de plus d'expertise, de connaissances. La mentalité d'impartition est bien implantée dans le secteur manufacturier. L'innovation ouverte est un prolongement naturel de cette tendance. Bref, on cherche de l'aide à l'extérieur. L'innovation ouverte commence à être très prisée en ce moment en Allemagne, où nous avons un gros problème de recrutement d'ingénieurs.

Q Dans quel type d'entreprises peut-elle s'appliquer?

R La plupart des utilisateurs sont les entreprises manufacturières, plus particulièrement les multinationales. Des entreprises comme Unilever et Procter&Gamble, qui doivent sans cesse sortir de nouveaux produits, sont de grandes utilisatrices de l'innovation ouverte. L'industrie pharmaceutique, où la recherche est très chère et très complexe, serait l'une des premières à s'être tournée vers ce genre de pratique. Les constructeurs automobiles y sont réticents depuis très longtemps, mais je crois que c'est en train de changer tranquillement. Le secteur qui, à mon avis, aurait avantage à utiliser l'innovation ouverte, c'est celui des petites et des moyennes entreprises. Les PME ont beaucoup moins de ressources pour innover et n'ont, bien souvent, pas le temps de s'en occuper.

Q Le Québec serait donc un terreau fertile pour ce genre de concept?

R Absolument, car on y retrouve des milliers de PME. Je crois que vous avez des organismes comme «Québec en mode solutions» (NDLR: dans la région de Québec) qui encouragent l'innovation ouverte. Nous faisons la même chose en Allemagne; nous voulons éduquer les entreprises à l'utiliser encore plus.

Trois conseils de Frank Piller

1. Il est difficile de se faire une opinion sur l'innovation ouverte tant que vous ne l'avez pas essayé. À petite échelle, ça peut coûter quelque chose comme 20 000$. Et je vous le dis, ça rapporte.

2. Si vous faites une demande pour obtenir de l'aide, assurez-vous d'avoir un plan quand vous recevez une ou plusieurs réponses affirmatives. Il faut se préparer à utiliser l'idée qui viendra de l'extérieur et éviter d'avoir le réflexe du «il faut se méfier, car l'idée ne vient pas de nous».

3. Il faut également être prêt à partager. Il faut développer sa mentalité en ce sens. Les échanges d'idées doivent être équitables, bilatéraux. Si on est trop paranoïaque, ça ne donne rien d'aller de l'avant.