Seul le temps sanctionne les grandes innovations. Mais toutes ont d'abord été de simples projets. Quel avenir nous préparent nos entreprises? Notre série Innovations se termine aujourd'hui avec ce dernier texte.

Sept milliards d'humains peuplent la terre, selon le décompte officiel d'octobre. Et toute activité humaine, de l'alimentation au transport en passant par le chauffage, l'industrie et les loisirs, nécessite de l'énergie. Il n'est donc pas étonnant que ce secteur soit en pleine effervescence.

Toujours à la recherche de nouvelles façons de produire et de distribuer l'énergie, l'être humain a été particulièrement inventif depuis un siècle. Mais au-delà des innovations techniques, le grand défi reste de produire en énorme quantité une énergie abordable et facile à distribuer pour répondre aux besoins croissants de l'humanité. De plus, pour progresser en matière énergétique, il ne faut pas compter seulement sur l'innovation technologique, mais aussi sur des politiques publiques innovatrices, souligne Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste des politiques énergétiques.

La Presse a consulté cinq spécialistes pour déterminer les innovations les plus marquantes et les plus prometteuses en énergie. La diversité de leurs réponses démontre bien que l'énergie de l'avenir ne viendra pas d'une solution miracle, mais plutôt d'une multitude de solutions combinées.

Bien que son utilisation par l'homme ne date pas d'hier, c'est la percée de l'énergie éolienne à coût abordable qui constitue l'innovation la plus marquante des vingt dernières années, selon Jean-Thomas Bernard, professeur invité au département des sciences économiques de l'Université d'Ottawa, et Gaétan Lafrance, professeur honoraire au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l'INRS.

«Quelques modèles d'éoliennes sont produits par un nombre limité de firmes, qui ont pu réaliser des économies d'échelle et faire baisser les coûts, qui étaient prohibitifs il y a à peine 25 ans, dit Jean-Thomas Bernard. Aujourd'hui, nous sommes rendus à environ 10 cents du kw/h, et même à 7 cents dans un contexte idéal, ce qui est abordable comparé à plusieurs autres formes d'énergie.»

Le fait d'avoir intégré avec succès de grands parcs éoliens dans les réseaux électriques, un défi considérable, est un grand pas en avant, croit Gaétan Lafrance. «Le Québec a été visionnaire en étant le premier au Canada à fixer un objectif de 10% de la capacité d'Hydro-Québec en éolien», dit-il.

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1100: Moulins à vent

1840: Gazéifieur de biomasse

1859: Premier puits de pétrole

1874: Premier pipeline

1892: Première centrale hydroélectrique de Montréal (canal de Lachine)

1939: Fission nucléaire

1946: Thermopompe géothermique

1954: Cellule photovoltaïque et panneau solaire

1957: Centrale électrique nucléaire

1967: Exploitation des sables bitumineux

1971: Premier parc d'éoliennes en mer

1973: Crise pétrolière

1980: Forage horizontal par fracturation hydraulique

2015: Automobiles à hydrogène

Les batteries de demain d'Hydro-Québec

Le succès futur de la voiture électrique reposera en grande partie sur sa batterie. Celle-ci doit être sécuritaire, performante, durable et facile à recharger. L'Institut de recherche d'Hydro-Québec participe à l'essor du véhicule de demain grâce à ses recherches sur les matériaux de batterie. Des solutions prometteuses ont été développées dans ses laboratoires de fine pointe pour améliorer les batteries au lithium-ion déjà sur le marché: l'utilisation du phosphate de fer-lithium et du nanotitanate, une poudre provenant de la nanotechnologie. La société d'état détient le brevet nord-américain et européen pour le phosphate de fer-lithium, ainsi que la propriété intellectuelle mondiale pour le nanotitanate. Ces batteries de nouvelle génération pourraient être utilisées, entre autres, dans les véhicules hybrides, les vélos et les scooters électriques.

Photo fournie par Hydro-Québec

Une meilleure gestion de la géothermie

L'énergie géothermique est utilisée depuis la préhistoire. Provenant de la chaleur terrestre, c'est une énergie peu coûteuse et écologique. Mais à l'époque contemporaine, elle a eu mauvaise presse auprès des consommateurs et sur les marchés en raison d'installations de systèmes géothermiques mal faites, notamment dans les années 80. Pour y remédier, la Coalition canadienne de l'énergie géothermique, formée d'intervenants de cette industrie, s'est donné comme mission de redonner ses lettres de noblesse à la géothermie grâce à un programme d'assurance-qualité, le Programme de qualité globale en géothermie de la CCÉG. Il vise à faire en sorte que les systèmes géothermiques atteignent les objectifs environnementaux et énergétiques promis, qu'ils soient sûrs et installés dans les règles de l'art, par des entrepreneurs fiables et compétents, respectueux des normes et règlements. «Je crois que c'est une forme d'énergie qui a un très grand potentiel à venir, dit Jonathan Théorêt. Le fait d'avoir une coalition d'acteurs pour pousser cette forme d'énergie et développer cette industrie avec un programme de qualité national est, en soit, innovateur.»

Illustration fournie par le bureau de recherches géologiques et minières

L'hydrolienne

Parmi la multitude de tentatives diverses pour trouver de nouvelles façons de produire l'énergie, l'hydrolienne retient l'attention au Québec en raison des nombreux cours d'eau sur notre territoire. En effet, l'eau qui s'écoule à haut débit fournir un potentiel énergétique important. L'hydrolienne est une turbine qui utilise le courant pour produire de l'énergie. En s'écoulant librement à travers l'hydrolienne, le courant en fait tourner les pales, lesquelles actionnent un alternateur pour produire de l'électricité, laquelle est envoyée aux berges par câbles sous-marin. Des prototypes sont présentement testés à divers endroits du monde, notamment depuis septembre 2010 dans le fleuve Saint-Laurent, par la firme RSW. Cette firme évalue que le potentiel d'électricité produite par les hydroliennes au Canada serait de 30 000 MW.

Illustration fournie par Marine turbine

Hybrides et hybrides rechargeables

En attendant d'avoir des voitures entièrement électriques à prix vraiment abordable, le moteur hybride, d'abord commercialisé par Toyota, représente la vraie solution électrique pour le moment, selon plusieurs des chercheurs interrogés par La Presse. Du point de vue d'une réduction importante de la consommation de pétrole, l'hybride rechargeable est de loin l'innovation la plus prometteuse, dit Gaétan Lafrance. Elle permet de gagner beaucoup en efficacité et de résoudre le problème de pollution dans les villes. Le concept défiait la logique: comment gagner en efficacité si l'on doit faire fonctionner deux moteurs en parallèle? Toyota l'a démontré avec brio. Le développement de l'hybride rechargeable correspond à un groupe d'innovations qui remet en question le couple pétrole/moteur à combustion qui règne depuis un siècle.»

Photo AP

La fracturation hydraulique du gaz de schiste

Le gaz de schiste est loin de faire l'unanimité, en raison des risques qu'il comporte sur le plan environnemental. Malgré tout, le procédé de fracturation hydraulique qui permet de les extraire du sous-sol constitue une innovation qui bouleverse l'échiquier énergétique, selon Normand Mousseau, professeur titulaire à la chaire de recherche du Canada en physique numérique des matériaux complexes.

«Cette technologie permet d'extraire à un coût extrêmement compétitif des hydrocarbures non conventionnels en quantité importante presque partout sur la planète, ce qui est en train de changer la donne énergétique mondiale, dit-il. On peut le constater en Amérique du Nord où cela a fait chuter le prix du gaz naturel à un quart de celui du pétrole, tuant les grands projets de production d'énergie renouvelable. À moyen terme, on devrait même voir le gaz naturel prendre une place de plus en plus importante dans le transport.»

Illustration fournie par Bunbury Films

La biométhanisation des déchets municipaux

Au Québec, 13 millions de tonnes de matières résiduelles sont produites chaque année. Aux prises avec la gestion des déchets, les villes réalisent enfin que ceux-ci ont un potentiel énergétique intéressant. Pour les aider à traiter ces déchets grâce à la biométhanisation, le gouvernement du Québec a lancé son Programme de traitement des matières organiques par biométhanisation et compostage. Grâce à des digesteurs renfermant des bactéries, les déchets organiques peuvent être transformés en biométhane. Ce biogaz peut être employé, entre autres, pour produire de l'électricité ou sous forme de carburant pour alimenter les véhicules municipaux. Quant aux résidus de la biométhanisation, ils forment ce que l'on appelle le digestat, qui peut être utilisé comme fertilisant. La ville de Rivière-du-Loup a annoncé l'an dernier qu'elle serait la première ville québécoise à doter son lien d'enfouissement d'une usine de biométhanisation. Plus récemment, on appris que Montréal aurait aussi les siennes en 2015. La construction d'autres usines est aussi prévue à Laval et à Longueuil au cours des prochaines années. «On pourra ainsi carburer aux déchets au lieu de les enfouir, c'est majeur comme innovation», dit Jonathan Théorêt, directeur général du Groupe de recherche appliquée en macroécologie.

Photo Archives La Presse