Son histoire est rocambolesque. Son influence, complètement méconnue. La Quebec City Conference (Conférence de Québec), peut-être le secret le mieux gardé au Québec, fait converger chaque année les plus importants investisseurs de la planète dans la Vieille Capitale. Coup d'oeil sur un événement unique où les milliards se comptent littéralement au pied carré.

Il y a 10 ans, vous auriez dit à Christian Racicot qu'il allait jouer un rôle dans l'établissement d'un fonds souverain de plusieurs milliards en Russie et il aurait probablement appelé l'hôpital psychiatrique pour vous faire interner.

En mai dernier, cet avocat de la firme québécoise BCF s'est pourtant retrouvé à serrer la main de Vladimir Poutine lors d'un voyage à Moscou qui allait sceller la naissance du Russian Direct Investment Fund, un nouveau fonds du gouvernement russe annoncé officiellement le mois suivant.

«C'est incroyable. C'est comique. C'est complètement fou», lance Christian Racicot, lui-même de toute évidence un peu ébranlé par l'ampleur du projet qu'il a lancé.

Il faut dire qu'en jetant les bases de ce qui allait devenir la Conférence de Québec, en 2001, M. Racicot est très loin de songer aux fonds souverains russes. À l'époque, l'homme souhaite simplement donner un coup de pouce aux entreprises en démarrage de la ville de Québec qu'il conseille à titre d'avocat.

M. Racicot décide de donner un coup de fil spontané à Stephen Hurwitz, un homme qu'il ne connaît pas, mais qui remplit le même rôle que lui à Boston avec beaucoup de succès. Le reste fait partie de la légende.

M. Hurwitz, devenu depuis cofondateur de la Conférence de Québec, accepte de venir à Québec donner quelques conseils aux entrepreneurs locaux.

Un grand coup

L'année suivante, toujours avec le même objectif, les deux hommes attirent à Québec une dizaine d'investisseurs américains. Mais Christian Racicot vise plus grand. En 2003, il frappe un grand coup en payant de sa poche un vol nolisé Boston-Québec pour attirer davantage de gens. L'affaire fait jaser.

Ce qui s'appelle désormais la Quebec City Conference attire bientôt les rock stars du capital-risque américain, ces preneurs de risque qui misent de l'argent sur les boîtes en démarrage dans l'espoir de les voir percer.

Question de les motiver à venir à Québec, mm. Racicot et Hurwitz comprennent vite qu'il faut aussi attirer ceux qui remplissent les coffres de leurs fonds: les investisseurs institutionnels, comme les caisses de retraite.

Les organisateurs créent de toutes pièces un forum à Québec à leur intention, qu'ils appellent la «Table ronde des investisseurs institutionnels».

Quelques caisses de retraite acceptent l'invitation, bientôt suivies par d'autres. Les grands noms en attirant d'autres, les grandes fortunes familiales et les fonds souverains embarquent aussi dans le bateau.

«Il y a vraiment eu un effet boule de neige», dit Christian Racicot.

Entendre M. Racicot égrener sa liste d'invités de cette année tient presque du surréalisme.

Le fonds souverain de Chine, le plus important de toute la planète, y était. Celui d'Abou Dhabi, qui gère la bagatelle de 625 milliards US d'actifs, aussi. La Caisse des dépôts et consignations française et ses 200 milliards d'euros, le fonds de retraite du géant Shell, les grandes fortunes familiales de la planète, alouette: ceux qui ont foulé les tapis du Château Frontenac les 24 et 25 octobre derniers gèrent ensemble des milliers de milliards de dollars. La concentration de capital au pied carré qu'ils rassemblent est pratiquement unique au monde.

Le fonds souverain russe? C'est l'hiver dernier que Christian Racicot reçoit un coup de fil de Moscou à ce sujet. Les Russes, qui mijotent alors la création d'un nouveau fonds souverain, lui demandent son aide pour joindre les grands investisseurs de la planète, question de voir s'ils veulent participer.

«Vous êtes sérieux?»

«Sur le coup, je n'en croyais pas mes oreilles. Je leur ai demandé s'ils étaient sérieux», raconte M. Racicot.

L'affaire finira par un voyage en Russie organisé au printemps dernier avec une poignée d'investisseurs de calibre international. Elle conduira même à une entente historique entre la Chine et la Russie pour coinvestir au pays de M. Poutine. Interloqué par les répercussions d'une telle rencontre, le groupe décide de s'engager à renouveler l'expérience.

Une réunion semblable se tiendra donc encore l'an prochain, dans un pays émergeant qui reste à être dévoilé.

«Réunir une telle masse critique d'investisseurs, ça crée de la valeur, dit M. Racicot. C'est l'unique raison pour laquelle on fait ça. Ça crée de la valeur non seulement pour le pays qui reçoit, mais pour la délégation entière, qui peut tisser des liens de qualité exceptionnelle.»

Le groupe continuera évidemment aussi à se réunir à Québec tous les ans dans le cadre de la Quebec City Conference. Un événement auquel le premier ministre Jean Charest se fait un devoir de participer chaque année.

«C'est un événement assez unique qui attire du monde de partout sur la planète, certains dont on ne soupçonne pas l'influence et le rayonnement, a dit M. Charest à La Presse. Pour moi, c'est une occasion chaque année de leur parler du Québec. On sait que bien des investisseurs qui ne connaissaient pas le Québec, de par leur présence ici, tissent des liens avec des firmes d'ici. C'est donc un événement très positif pour la province.»