Pour bien développer sa relève, il faut évaluer toutes les situations. Ce cinquième texte, d'une série de six, porte sur letransfert de la direction générale à quelqu'un qui n'est pas membre de la famille.Le processus de relève mis de l'avant chez Les Viandes Laroche est plutôt atypique.

Claude Laroche a fondé cette entreprise d'abattage, de transformation et de distribution de boeuf il y a près de 35 ans à Asbestos. Aujourd'hui, trois de ses enfants travaillent à ses côtés.

Malgré tout, M. Laroche a fait appel à Sylvain Roux - qui n'a aucun lien avec la famille - pour diriger l'entreprise et piloter un projet de 11 millions qui permet ces jours-ci à la PME de déménager ses pénates dans des installations flambant neuves.

Par ce geste, Claude Laroche ne cherche aucunement à désavouer ses enfants. Ni à leur envoyer un quelconque message.

«C'est parfois très difficile pour un père de coacher ses enfants et difficile pour les enfants de se conformer à ce qu'un père peut exiger d'eux. En engageant Sylvain comme directeur général, j'ai voulu mettre de l'équilibre, créer une certaine harmonie», explique M. Laroche, 63 ans.

Sylvain Roux a été embauché en 2004, à l'époque où Francis et Vincent, les deux fils de Claude Laroche, occupaient des postes clés dans l'entreprise.

«Mes fils sont bons dans ce qu'ils font. Ils n'étaient pas prêts à occuper un siège à la direction générale», résume le président de la PME.

Quant à Marie-Pierre, l'aînée de la famille, elle vient à peine de se joindre à l'entreprise. Bref, les trois enfants de Claude Laroche ont chacun leurs responsabilités. Et tout le monde s'en porte très bien.

Pas encore de successeur

D'ailleurs, le fondateur et unique actionnaire de la PME de 65 employés n'a toujours pas désigné son successeur, c'est-à-dire celui ou celle qui occupera le siège de président lorsqu'il tirera sa révérence. Il n'est d'ailleurs pas pressé.

«J'ai bien des amis qui ont vendu leur entreprise. Aujourd'hui, ils s'ennuient et cherchent à se relancer en affaires», dit Claude Laroche.

«Et contrairement à ce qu'on peut voir dans d'autres entreprises où les jeunes veulent prendre leur place, on cherche plutôt à garder notre père avec nous le plus longtemps possible. Il nous inspire beaucoup», dit Marie-Pierre Laroche, la jeune quarantaine et responsable entre autres de l'appellation Viande Certifiée des Cantons (VSC).

VSC est une marque déposée créée par Les Viandes Laroche. Il s'agit d'un label certifiant que le boeuf issu de la PME est notamment sans antibiotique et qu'il s'inscrit dans un rigoureux programme de traçabilité.

L'un des buts de Claude Laroche est de donner au boeuf québécois la place qui lui revient, non pas en se battant contre les producteurs de boeuf de l'Ouest (qui occupent, dit-il, 99% du marché québécois), mais en offrant des produits à valeur ajoutée dans les boucheries et le secteur des HRI.

Avec ses nouvelles installations, l'homme d'affaires croit pouvoir faire passer ses ventes de 40 à 100 millions d'ici cinq ans.

Caractères différents

Fait étonnant, Claude Laroche a choisi comme directeur général quelqu'un qui ne lui ressemble pas du tout.

Chevelure frisée en bataille, les traits tirés, M. Laroche a l'air d'un dur à cuire.

«Je suis un peu délinquant, j'ai toujours tourné les coins ronds», dit-il, sourire en coin. Pour ses 60 ans, l'homme d'affaires a gravi les 5000 mètres du Kilimandjaro en Afrique.

À l'opposé, Sylvain Roux semble doux comme un agneau.

Pantalon noir ajusté, chemise blanche à manches courtes, ce jeune de 38 ans, diplômé en administration, est un ancien militaire formé au collège de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Adepte de méditation, Sylvain Roux a dirigé sa propre entreprise de transformation de porcs avant d'être recruté à titre de directeur des ventes pour ensuite être promu DG par le président de Les Viandes Laroche.

Et la formule semble fonctionner. Les enfants de Claude Laroche, qui ont toujours connu Sylvain Roux, originaire d'Asbestos, vivent très bien avec la décision de leur père.

Bien sûr, le président et le directeur général de la PME ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde, ce qui est tout à fait normal.

«Mais il y a un respect mutuel. Et tout repose sur la confiance», dit Claude Laroche.

Cette confiance a d'ailleurs été mise à rude épreuve en 2007 lorsque Sylvain Roux a découvert que le contrôleur de l'entreprise trafiquait les chiffres depuis 2000. Un cas de fraude qui s'élèverait à 750 000$ et qui est actuellement devant les tribunaux..

«Ça a été un test entre Sylvain et moi. Il aurait pu y avoir perte de confiance. J'ai pensé à deux choses: est-ce que Sylvain était de connivence? Mais aussi, je me suis demandé si Sylvain pensait que j'étais responsable de tout ça parce que je n'étais pas à mon affaire», raconte Claude Laroche.

Cette façon inhabituelle de préparer la passation des pouvoirs a d'ailleurs attiré l'attention au sein du Groupement des chefs d'entreprises du Québec, où Claude Laroche et Sylvain Roux ont présenté une conférence devant 500 entrepreneurs.

«On y est allé pour montrer qu'il existait d'autres modèles, qu'on était différents, mais sans chercher à impressionner qui que ce soit», conclut Claude Laroche.

DES RESSOURCES POUR «REPRENEURS»

Il faut davantage s'intéresser aux « repreneurs », affirme Louise Cadieux, professeure en management à l'Université du Québec à

Trois-Rivières (UQTR). 

Celle qui a fait sa thèse de doctorat sur le processus de désengagement du prédécesseur, du cédant, bref du propriétaire d'entreprise qui quitte le navire, avoue qu'il est grand temps qu'on s'intéresse à ceux et celles qui reprennent le flambeau.

«La question de la relève est bien établie au Québec depuis 10 ans. La seule chose qu'on ne fait pas ici, mais qu'on commence à regarder, c'est d'aborder la problématique par le biais des repreneurs. On s'est intéressé largement à ceux qui vont quitter, mais pas assez à ceux qui arrivent. La plupart des ressources qui existent sont là pour ceux qui s'en vont», explique Mme Cadieux.

Et d'ajouter: «Mais depuis quelques années, à l'UQTR, les jeunes en management ont un cours sur la carrière entrepreneuriale par le biais d'une reprise. C'est prouvé qu'une entreprise qui est reprise a plus de chance de réussite qu'une entreprise créée de toutes pièces. Environ 50% du cours concerne les entreprises familiales, et l'autre 50% touche surtout à la reprise d'une entreprise externe.»

Louise Cadieux a copublié en 2009 avec François Brouard le livre La transmission des PME; perspectives et enjeux, aux Presses de l'Université du Québec. Elle y traite de transfert de la direction, son champ d'expertise. De son côté, François Brouard, un fiscaliste, se spécialise dans le transfert de la propriété.