Quand Nathalie Nasseri a commencé l’université, en anthropologie, il y a plus de 20 ans, tout le monde lui demandait ce qu’elle comptait bien faire dans la vie avec une telle formation.

Aujourd’hui, la directrice générale de Bleu Lavande, celle qui est derrière la prospère seconde vie de l’entreprise des Cantons-de-l’Est mise en faillite en 2012, n’a plus à expliquer les vertus de cette science sociale qui aide à comprendre les humains, que ce soit les clients, les collègues, les employés ou les communautés où on s’installe.

Celle qui avait saisi depuis son arrivée, avant que la vague du local et du naturel ne s’envole, qu’il était là, l’avenir de l’entreprise, n’a plus à justifier d’avoir pris ce chemin avant d’aller en marketing, pour avancer ensuite au sein de grandes entreprises, et finalement se lancer dans une aventure entrepreneuriale.

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Nathalie Nasseri, directrice générale de Bleu Lavande

Elle fait partie des nombreuses femmes qui n’ont pas toujours eu un parcours totalement traditionnel, mais qui ont su appliquer la multiplicité de leurs savoirs et de leurs formations pour diriger aujourd’hui un nombre en croissance d’entreprises québécoises.

Ces femmes, on les retrouve cette année pour la deuxième fois dans le magazine Premières en affaires, qui, à la suite d’une initiative du Réseau des femmes d’affaires du Québec, en partenariat avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, en a fait un palmarès. Cette liste, triée et bâtie à partir des noms soumis par des femmes d’affaires, sera rendue publique ce mardi.

Cent dix PME installées un peu partout au Québec, et dont 83 % font même des affaires à travers le Canada, y sont listées.

On y apprend, par exemple, qu’une des plutôt grandes entreprises québécoises — dont le chiffre d’affaires est de plus de 50 millions — dirigées par une femme est en fait pilotée par deux sœurs, Mélissa et Valérie Berger. Les dirigeantes de Berger, entreprise du Bas-du-Fleuve qui produit et distribue des substrats agricoles — comme la tourbe —, ont pris certes la relève de leur père, mais elles dirigent une entreprise lancée en 1963 grâce à l’idée et au travail de leur grand-mère, Huguette Théberge. Et son rôle est bien souligné dans le site web de l’entreprise, qui vend ses produits partout dans le monde.

Parmi les grandes — chiffres d’affaires de plus de 50 millions —, il y a aussi Geneviève Biron, de Biron (les laboratoires, notamment), Christiane Germain, des hôtels éponymes, Brigitte Jalbert, d’Emballages Carrousel, Julie Roy, de Roy, une société d’entretien… Je ne les nomme pas toutes, il y en a 12. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on est loin des stéréotypes. Certaines ont un groupe de stations-service, d’autres sont dans la construction, la production télé, les services maritimes…

Fait intéressant relevé par le palmarès : 42 % des entreprises du palmarès, qui en compte 110, sont dirigées par des femmes qui ont pris la relève d’un autre membre de la famille. Elles font donc la preuve que c’est une option viable et souvent efficace pour la pérennité des sociétés.

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Mais plusieurs de ces PME ont aussi été démarrées de toutes pièces par des femmes qui ont eu un jour envie de se lancer en affaires. Elles sont plus présentes dans la catégorie « moyennes entreprises ».

Je pense par exemple à Judith Fetzer, de Cook it, qui est parmi celles dont le chiffre d’affaires est entre 10 et 50 millions. « Coachée » par nul autre qu’Alain Bouchard, fondateur d’Alimentation Couche-Tard, elle a vu son entreprise décoller en 2020, notamment à la suite de l’acquisition de Miss Fresh (on reconnaît l’influence de son mentor, Monsieur croissance par acquisitions). Alors qu’elle comptait 200 employés au début de la pandémie, Cook it a terminé 2020 avec plus de 700. Elle fait clairement partie aussi des entreprises dont les produits et services sont particulièrement utiles et demandés depuis mars dernier.

La société Prana, qui vend des collations bios — noix, fruits secs et compagnie —, fondée par Marie-Josée Richer, est aussi du lot. En outre, Karine Joncas, de la société de cosmétiques du même nom, y figure.

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Comme journaliste, ces palmarès sont précieux, car on y découvre toutes sortes de noms peu connus d’entreprises, souvent en région, qui ont répondu à l’appel du magazine et de la CDPQ pour se faire connaître. J’avoue que je ne savais pas que Paber Aluminium, à Cap-Saint-Ignace, entre L’Islet et Montmagny, une société de moulage de métal, était dirigée par une femme, Geneviève Paris. Ou qu’Abritek, manufacturier de portes et fenêtres à Saint-Georges, en Beauce, était piloté par Josée Bilodeau.

Mais ce qui est aussi intéressant dans ces palmarès — et les prix —, souligne Brigitte Jalbert, qui a reçu de nombreuses accolades l’an dernier, dont le prix Leadership stratégique d’EY Canada, c’est l’exemple pour les jeunes.

Ce qu’elle espère, c’est que des femmes qui commencent regardent la liste du magazine et constatent qu’elles peuvent se lancer en affaires dans toutes sortes de secteurs. Et réussir.

Du transport médical aérien (Sophie Larochelle chez Airmedic) à la fabrication de robinetterie haut de gamme (Marie-Eve Baril chez Baril), en passant par l’édition de magazines (Brigitte Coutu chez Ricardo) ou la vente d’articles de sport (Alexandra Oberson chez Oberson), tout est ouvert.

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Et avis à celles que ça pourrait intéresser. Pendant que la Caisse célèbre celles qui ont réussi, la BMO, par l’entremise du programme Fondatrices, veut encourager celles qui ont des idées et veulent se lancer.

L’initiative fait partie des activités de Montréal inc., qui lance un appel de candidatures d’ici le 12 février. Toutes les femmes qui souhaiteraient faire du démarrage, qui pensent avoir trouvé un bon concept, peuvent soumettre leur dossier. Ensuite, 20 d’entre elles seront choisies pour faire un programme de lancement de cinq semaines, avec des coachs professionnels. Et parmi celles-ci, un sous-groupe de 10 aura 12 semaines supplémentaires de formation. Puis une ultime finaliste aura un prix de 5000 $. Et du coaching pendant six mois. (Détails : https://www.montrealinc.ca/fondatrices/)

On est vraiment ici dans les toutes premières étapes, la « préaccélération », mais il est intéressant de voir les grandes institutions reconnaître l’importance de donner des coups de pouce supplémentaires aux femmes, qui se heurtent à tellement de biais inconscients et de barrières culturelles propres au monde des affaires que parfois, elles ne s’en rendent plus compte elles-mêmes.

Alors voilà.

Go !