L’innovation

Un processus « naturel et biologique » qui permet de neutraliser les principaux défauts de la stévia, son amertume et son arrière-goût. Cette solution de rechange millénaire au sucre, sans calories et sans édulcorant artificiel, possède un pouvoir sucrant jusqu’à 300 fois supérieur.

Qui ?

À partir de 2008, en Colombie, un pétrochimiste à la retraite, Salvador Mateus, se donne le défi de trouver la méthode appropriée de transformation de la stévia. Cette plante connue pour son pouvoir sucrant chez les peuples d’Amérique du Sud depuis 1500 ans commence alors à gagner des adeptes dans certains pays industrialisés, notamment au Japon. En 2014, l’usage de la stévia connaît un boom ; M. Mateus s’associe à deux jeunes Montréalais, Philippe Thompson et François Pagé, pour commercialiser son invention à l’usage des transformateurs alimentaires. M. Thompson a obtenu un baccalauréat en commerce de l’Université Concordia, tandis que M. Pagé se définit comme un entrepreneur, avec une formation en science politique. Ils sont aujourd’hui respectivement PDG et vice-président aux ventes et au marketing chez AmazStev, tandis que M. Mateus a hérité du titre de directeur de la technologie. On prévoit embaucher trois autres employés d’ici un an. L’entreprise est hébergée durant deux ans par l’incubateur fondé par l’École de technologie supérieure (ETS), CenTech, dans le cadre de son programme Propulsion.

Nous sommes un peu les moutons noirs de CenTech, la seule entreprise sans une ligne de code dans notre produit.

François Pagé, vice-président aux ventes et au marketing chez AmazStev

Le produit

Les méfaits de la surconsommation de sucre font l’objet d’un large consensus scientifique, et la recherche de remplaçants a amené sur les tablettes depuis plus d’un demi-siècle des produits comme l’aspartame et la saccharine. Or, différentes études ont donné mauvaise presse à ces édulcorants ces dernières années. « Il n’y a pas d’études concluantes sur leur nocivité ; c’est surtout la perception du consommateur qui est mauvaise, explique M. Thompson. Ça met énormément de pression sur les manufacturiers. » La poudre de stévia, extraite d’une plante nommée Stevia rebaudiana, s’est imposée graduellement comme une solution de rechange naturelle à ces succédanés. Le gros hic : elle est amère et laisse un arrière-goût désagréable pour une personne sur cinq. Plusieurs méthodes, impliquant notamment la fermentation et l’utilisation d’enzymes, ont été testées pour fabriquer les « bonnes » molécules actives de la stévia, appelées glycosides de stéviol. AmazStev a plutôt choisi une autre voie.

C’est un procédé qu’on a appliqué à l’extrait de stévia qui ne dénature pas la molécule. On n’enlève pas les molécules indésirables, on change la manière dont les molécules interagissent avec les pupilles gustatives.

Philippe Thompson, PDG d’AmazStev

Il s’agit d’un « secret commercial », précisent les deux Montréalais, qu’ils n’ont pas breveté par crainte d’en dévoiler des détails qui pourraient être copiés. Une dizaine de transformateurs alimentaires dans la grande région de Montréal sont déjà clients d’AmazStev, « et d’autres clients majeurs sont en évaluation », précise M. Pagé sans nommer les entreprises en question. « Quand on présente notre produit, la réaction est qu’il s’agit d’un sommet en termes de goût », ajoute M. Thompson.

L’avenir

La prochaine étape pour AmazStev : trouver des fonds lors de la ronde de financement en cours pour établir un centre de production au Québec. Le défi est grand. « Les investisseurs sont souvent dans l’intelligence artificielle et la technologie, dit le PDG. Dans notre cas, c’est une technologie dans le secteur alimentaire, c’est un profil plus rare. » Pour recruter des entreprises plus importantes, ayant entre 100 millions et 1,5 milliard de chiffre d’affaires annuel, AmazStev doit en outre obtenir une certification internationale, la Global Food Safety Initiative (GFSI). Enfin, AmazStev doit déjà songer à diversifier son offre pour ne pas être perçue comme un « one-trick pony », explique François Pagé. « On devrait être dans le marché de la réduction du sucre plutôt que seulement dans celui de la stévia. Il faut prêter attention aux alternatives, comme le monk fruit, qui s’en vient. »