On en parle peu parce qu’elles sont loin. Mais des PME francophones ont fleuri un peu partout au Canada. Au programme cet été : tourisme entrepreneurial ! Aujourd’hui : Kaneshii Vinyl Press, de Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard

Les chances sont minces d’écrire cette phrase sans fabuler : une Acadienne et un Ghanéen se sont associés pour fabriquer des disques de vinyle à l’Île-du-Prince-Édouard.

C’est pourtant le cas.

En juillet 2017, Ghislaine Cormier et Gideon Banahene ont lancé leur production, dans un petit local de 3000 pi2, à Charlottetown.

Leur entreprise s’appelle Kaneshii.

Une « Come From Away »

Mi-juin, Ghislaine Cormier est de passage à Montréal.

Grande femme souriante et énergique de 36 ans, elle est « extrêmement Acadienne », précise-t-elle.

Ses parents sont tous deux des Acadiens de la Nouvelle-Écosse. Tout de suite après la naissance de Ghislaine, au Nouveau-Brunswick, la famille s’est établie à l’Île-du-Prince-Édouard.

Ghislaine Cormier a grandi dans la région Évangéline, où elle a fréquenté l’école secondaire Évangéline, dans le petit village d’Évang… d’Abram-Village (prononcez abranvillage, 272 habitants en 2016).

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Ghislaine Cormier, copropriétaire de Kaneshii Vinyl Press

« Mon frère, qui a juste un an de différence avec moi, est né sur l’île. Lui, c’est un vrai insulaire, il n’a pas de problème. Moi, les Anglais disent CFA. Une “Come From Away”. » Venue d’ailleurs.

À cette aune, son associé Gideon Banahene est un CFFFA : « Come From Far Far Away ».

Né au Ghana, il est arrivé en 2004 pour faire des études en administration à l’Île-du-Prince-Édouard, dont son père, qui y avait séjourné dans les années 70, lui avait vanté la douceur.

Il parle très bien français.

Soif d’entreprendre

Gideon et Ghislaine se sont connus au tournant des années 2010, alors qu’ils travaillaient pour deux organismes de développement – économique pour l’un, culturel pour l’autre – partageant les mêmes locaux.

« On a vu qu’on avait tous les deux une soif pour l’entrepreneuriat. »

Soif ? Le gars a fondé à l’Île-du-Prince-Édouard une entreprise d’assemblage de vélos en bambou, dont les cadres sont fabriqués au Ghana !

Ghislaine Cormier n’a pas non plus froid aux yeux (bleus).

« Mes parents, tous deux entrepreneurs, nous ont toujours dit à moi et mon frère : faites quelque chose que vous aimez », raconte l’Acadienne.

Vers 2016, donc, le Ghanéen semblait avoir besoin de changement.

« J’ai dit à Gideon : “C’est quoi, tes passions ?” »

— C’est des disques en vinyle.

— Pourquoi tu ne t’ouvres pas un petit magasin ? Il y en a juste un sur toute l’île. »

« Il est revenu une semaine plus tard et il a dit : “Non, on va les faire !” »

Elle a accepté de monter à bord.

Ma raison d’embarquer, c’est d’appuyer le processus de création des artistes. Comme petits Acadiens, on a tous été élevés dans du violon puis de la danse. On a tous fait de la scène…

Ghislaine Cormier

Il a fallu une bonne année pour rédiger le plan d’affaires, établir le montage financier et trouver la presse à vinyles. « On a cherché longtemps. »

Ils avaient repéré une machine d’occasion aux États-Unis, mais la transaction leur a échappé aux mains d’un entrepreneur local qui a fait surenchère. « La piste s’en venait froide. »

Elle s’est rapidement réchauffée.

« Je ne te mens pas, le dimanche suivant, j’ai ouvert le Globe and Mail et il y avait un article sur une nouvelle compagnie en Ontario qui venait de créer une machine de fabrication pour les disques en vinyle. Ça a fait comme : wouaaaaa !!! »

C’est son imitation d’un chœur céleste.

Viryl, fondée en 2015, venait de mettre au point une presse automatisée, espèce d’usine miniature dans laquelle on verse des granules de plastique et qui recrache des disques de vinyle à raison d’une galette en 27 secondes.

Le prix : environ un quart de million, sans les à-côtés.

« Ce n’est pas donné », résume Ghislaine Cormier.

Il a fallu trouver du financement pour une entreprise isolée – le mot vient d’île en latin – qui tablait sur la nostalgie vinylique.

« Il restait comme le dernier morceau de financement à trouver et je marchais sur la Sainte-Catherine, icitte à Montréal, puis je suis passée en face du HMV. Dans la vitrine, il y avait cinq modèles de tables tournantes. J’ai pris quelques photos et je les ai envoyées à des gens qui étaient un peu sceptiques. Tout de suite, ils ont embarqué. »

Quelques semaines plus tard, ils achetaient une des premières presses de Viryl. « Je pense que c’était la numéro deux. »

PHOTO FOURNIE PAR KANESHII VINYL PRESS

La presse de Kaneshii a été fabriquée par l’entreprise ontarienne Viryl Technologies.

Couleur locale

Gideon s’occupe de la production et de l’administration, et Ghislaine a pris en main les partenariats stratégiques et le développement.

« J’ai toujours travaillé en français, confie-t-elle. L’OSBL que je gère est francophone. J’ai fait mes études secondaires et postsecondaires en français. Moi, aller dans un domaine anglophone, c’est tellement pas familier chez moi. »

Elle l’a fait, pourtant. Kaneshii trouve des clients en Ontario, dans l’est des États-Unis et jusqu’en Louisiane.

Depuis deux ans que Kaneshii est en activité, les projets de pressage se comptent par centaines. Ce sont de petites séries, minimalement de 100 exemplaires, souvent de 500 à 1000 unités.

Le marché québécois est particulièrement actif. Elle énumère : Cœur de pirate, Daniel Bélanger, Pierre Lapointe, Luc De Larochellière, Les Trois Accords, Les Cowboys fringants…

Oubliez les disques noir obsèques. « Les couleurs sont fabuleuses. Celui de Corneille était rose bonbon, mais transparent. Il était hyper beau. »

Pour aider les artistes émergents à amortir les coûts de pressage initiaux, Kaneshii a lancé en mai Recordfund.com, une plateforme de sociofinancement pour faire la prévente de leurs disques. L’équivalent français Disque fonctionnel sera opérationnel cet été.

Chez Kaneshii, tout presse.

Kaneshii Vinyl Press

Fondation : 2017

Propriétaires : Ghislaine Cormier et Gideon Banahene

Activité : pressage de disques de vinyle

Siège social : Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard

Employés permanents : 6

Île-du-Prince-Édouard

142 907 habitants, dont 4865 de langue maternelle française

Abram-Village

272 habitants, dont 205 de langue maternelle française

Charlottetown

36 094 habitants, dont 335 de langue maternelle française

Source : recensement 2016

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