Une valise noire surmontée d'un sac de sport est déposée dans un coin de la petite salle de conférence, qui sert aussi de salle d'exposition. « On s'en va à Shanghai pour trouver des fournisseurs de tissus », indique la designer de mode Mélissa Nepton.

Elle partira trois jours plus tard avec sa soeur jumelle Natasha, qui l'assiste pour le design.

La croissance est à ce prix - celui d'un épuisant voyage loin de ses deux jeunes enfants.

Âgée de 37 ans et propriétaire de la firme homonyme, Mélissa Nepton est une des designers les plus réputées du Québec. Ses collections de prêt-à-porter destinées aux femmes de carrière sont distribuées dans 300 points de vente au Canada. Plusieurs personnalités ont porté ses robes - Mélissa Desormeaux-Poulin à Cannes, Geneviève Brouillette aux Gémeaux...

Une créatrice confirmée, donc... «  [Mais] à la base, je pense que je suis née entrepreneure », constate la designer.

Elle nous décrit les proportions d'une réussite bien coupée.

« Il faut être 70 % entrepreneure et 30 % créatrice. En réalité, pour avoir du succès, tu n'as pas besoin d'être créateur. Combien y a-t-il de créateurs qui ont du talent, mais qui n'ont pas de succès ? Ici, il y a plein de gens qui ne font que copier des vêtements - on les appelle les rats de Chabanel. »

- Mélissa Nepton

Pourtant, l'entrepreneuriat ne courait pas dans la famille. Elle est née à Arvida en 1981. « Je n'ai pas été élevée dans la richesse. Mes parents étaient ouvriers. »

LE FIL DE SA CARRIÈRE

À 17 ans, les inséparables jumelles ont quitté la maison familiale pour étudier toutes deux en mode au cégep Marie-Victorin. Mais le dynamisme de Mélissa n'y trouve pas à s'exprimer.

« Tu apprends à couper du papier... Tu te sens un peu niaiseuse quand tu fais tes premières études. »

Elle trouve plus d'intérêt dans ses études en gestion et design de la mode à l'UQAM.

Sa soeur l'y a suivie, bien sûr. À la fin de leur bac, elles font un stage à Paris, au retour duquel Mélissa est engagée par la chaîne Marie-Claire.

« Quand j'ai travaillé chez Marie-Claire comme acheteuse, j'étais certaine que j'aurais mon entreprise, raconte-t-elle. Je le sentais. Mais jamais ce ne serait dans le vêtement. Parce que je savais comment c'était dur. »

Son optique change avec sa participation à la téléréalité La collection, au réseau TVA, en 2009. Mélissa termine deuxième de cette compétition de design de mode, ce qui lui vaut un prix en argent et une visibilité qu'elle met vite à profit. Elle dessine aussitôt une première collection, que Simons lui achète.

« C'est ça qui m'a fait dire : "OK, je vaux peut-être quelque chose." Et ça te donne la confirmation que tu vas avoir un petit chèque au bout du compte. »

Pour lancer son entreprise, elle réussit à réunir près de 100 000 $, en y contribuant de ses propres REER. « J'ai fait des crises d'anxiété. Tu as 27 ans, mais tu brûles 100 000 $ ! Tu te dis : "Qu'est-ce que je fais là ?" Je pleurais tous les soirs... »

L'ATELIER

Mélissa Nepton fait les honneurs de son atelier, au sixième étage d'un immeuble du quartier Chabanel. Rien à voir avec Coco Chanel, rue Cambon : il occupe un vaste local de béton, à peine aménagé avec quelques bureaux aux murs blancs.

La plus grande partie sert d'entrepôt. « Ça, c'est notre stock d'automne, qui sort chaque jour », indique-t-elle, devant les rangées de vêtements accrochés sur des tringles.

Ses créations sont fabriquées à 90 % au Canada.

« Il y a des choses qu'on essaie de tester en Chine, mais on doit rester canadien, parce qu'au Canada, mon chiffre d'affaires est relié au fait qu'on fabrique ici. »

- Mélissa Nepton

Les tissus sont le nerf de la guerre.

« Chercher des tissus qui ont une valeur de qualité, énonce-t-elle, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin » - une métaphore de couturier.

« Tu veux donner le meilleur au client, mais en même temps, tu veux payer moins cher. Il y en a mais il faut savoir comment les trouver. »

Elle les déniche en bonne partie en Turquie.

COURBE DE CROISSANCE

« Une fois que tu es lancée, le plus difficile, c'est le développement », exprime la designer.

Au Canada, la croissance ralentit, constate-t-elle. « La courbe fait ça », dit-elle en traçant dans l'espace une courbe qui s'approche de l'horizontale. « Pour qu'elle ne se couche pas, il faut que tu développes le marché. »

C'est pourquoi elle se tourne vers les États-Unis.

La fin de semaine précédente, elle assistait à la foire du prêt-à-porter Coterie de New York pour rencontrer les acheteurs des boutiques. « Je viens de signer à Atlanta. Aujourd'hui, j'envoie mon contrat pour Dallas. »

Ses collections sont vendues à Nashville, en Floride, au Colorado...

« Aux États-Unis, c'est un autre marché, observe-t-elle. Il a fallu qu'on change un petit peu notre créneau. »

Elle a dû décaler la gamme du chic vers le confort, à l'inverse de ce qu'aurait subodoré un néophyte naïf.

« Oui, à New York, c'est très sophistiqué, mais dès qu'on entre au Texas et au Tennessee, chez les familles riches, c'est souvent l'homme qui travaille. La femme va s'habiller pour être à l'aise, mais elle va payer cher pour ses vêtements, elle veut de la qualité. »

LA COMPÉTITRICE

Grande, taillée en athlète, elle se dit compétitive.

« J'ai nagé, j'ai fait du sport pendant toute ma vie avant d'avoir l'entreprise. Ça m'a aidée à être qui je suis. »

La compétitrice en elle accompagne la créatrice et l'entrepreneure.

« Je ne fais pas ce métier pour l'argent, je le fais pour avoir du succès et dire : "Ma chemise, c'est la meilleure !" C'est ce qui me permet d'avancer. »

Mais avancer jusqu'où ? Car la croissance peut aussi être un despote...

Il faut tracer une ligne, « savoir ce que tu veux dans la vie », décrit-elle. « Veux-tu être capable d'arriver à la maison à un moment donné ? C'est tout ça à considérer. Avec une entreprise comme la mienne, tu peux arrêter à 4 millions de chiffre d'affaires, à 10, à 20. C'est un choix. Est-ce que tu veux travailler plus, gérer plus d'employés ? Le développement coûte cher. Si tu triples ton chiffre d'affaires, tu n'as pas d'argent pendant quatre ans. »

Et il y a toujours deux petits bouts de chou de 3 et 5 ans à la maison, Christophe et Olivia. « Des amours. J'aimerais être tout le temps avec eux. »

Elle avance donc résolument mais prudemment sur la route de la croissance, et ce voyage en Chine en est un des jalons.

« Ce qu'on est en train de faire exige la même énergie qu'auparavant. Ça ne demande pas plus de gens dans l'équipe, à part au moment des livraisons. On va tester pendant au moins deux ou trois saisons pour voir si j'arrête là ou si je continue. Parce que c'est fatigant, développer. Il faut que tu empruntes, il faut que tu aies de bons financiers avec toi. »

Ils la suivent, ces financiers ?

« J'ai seulement la banque, pour l'instant, et ils sont gentils ! »

À propos de la croissance

« Tu as le choix d'arrêter. Le marché canadien est quand même solide de mon côté, je crois, mais il suffit que tu aies un problème avec un territoire, qu'un représentant te lâche du jour au lendemain... Ouvrir des territoires te solidifie davantage. »

- Mélissa Nepton

Fiche technique

Mélissa Nepton, 37 ans

Présidente de Mélissa Nepton

Fondation : 2009 

Employés : 10 en haute saison

Points de vente : 300 au Canada, 100 aux États-Unis

Marché : prêt-à-porter tout-aller chic pour la femme active et professionnelle