Dans un univers de contenants en plastique, la Laiterie Chalifoux lance cet automne une gamme de petits pots de yogourt en verre. Ça casse ou ça passe.

LAITERIE CHALIFOUX

Le président Alain Chalifoux, qui a succédé en 2009 à son père et ses oncles à la tête de l'entreprise, voulait une action d'éclat pour se distinguer des 43 trois autres fabricants de fromage « qui fait couic-couic ».

« Le chiffre d'affaires n'avait pas bougé depuis 2006. En 2012, ça faisait déjà six ans qu'il était fixe. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. »

Restait à savoir quoi.

« On vend ? On rationalise, comme les autres ? »

Le fabricant des fromages Riviera, établi à Sorel depuis 1920, employait environ 150 personnes. Quatrième génération à la barre de l'entreprise familiale, Alain Chalifoux, son frère Maxime et sa cousine Mélanie se sentent une responsabilité envers leur communauté.

« Vendre et encaisser un gros montant, puis marcher sur le trottoir et regarder les gens, on n'aurait pas été capables de vivre avec ça », exprime l'homme de 48 ans.

SA VOIE : SAVOIE YAOURT

Fin 2012, il apprend que Frédéric Madon, directeur général d'Alsace Lait, vient au Québec en visite exploratoire. « J'ai dit: "Je veux le rencontrer". »

Il le visite à son tour en France « et de fil en aiguille, on a vu qu'on avait les mêmes affinités et les mêmes buts ».

Ils fondent un projet: adapter au Québec le principe des yaourts fermes en pots de verre de la marque Savoie Yaourt.

CULTURE LAITIÈRE

Mais ce n'est pas un simple transfert de recette. Malgré leur communauté de vue, ce partenariat engage deux entreprises distantes sur plus d'un plan.

« Vous comprenez, c'est une culture! On a fait beaucoup de changements chez Chalifoux. Avant, c'était patriarcal. »

En 2013, il convoque un conseil de famille et crée un conseil d'administration. « J'ai eu de l'aide de HEC, je suis allé étudier pour voir comment on faisait ça. Pour la première fois, on a ouvert la porte à des personnes de l'extérieur. »

À son conseil siègent le professeur de marketing Jacques Nantel, de HEC Montréal, et le spécialiste en redressement Michael Vineberg.

« On avait la crème », constate le président de la laiterie. « On a appris. »

Sur cette crème, il était prêt à ajouter la cerise.

YAOURT AUX AVOCATS

Fin 2013, les négociations progressent... lentement. La Laiterie Chalifoux et Alsace Lait ont chacun leur bataillon d'avocats - ceci expliquant cela.

« À un moment donné, je prends l'avion, et je me dis que ça ne marche pas. Je dis à M. Madon: "Il faut reprendre les guides de notre affaire." On voulait quelque chose de simple, et ça s'en vient compliqué. »

- Alain Chalifoux

Un mois plus tard, ils réunissaient leurs conseillers juridiques à Montréal. « On les a tous assis autour d'une table. On était tous les deux en avant. On leur a dit: "Ça, c'était notre lettre d'intention du début. Vous êtes en train de tout compliquer. Dans un mois, il faut qu'on ait réglé." »

Le 14 février 2015, l'entente de partenariat était conclue. Étape suivante: la production.

À LA FORTUNE DU POT

Le calendrier n'offre que deux fenêtres pour accéder aux tablettes des détaillants: janvier et septembre.

« Il ne fallait pas manquer notre ouverture du mois de septembre », souligne l'entrepreneur.

« Autour des tables, les gens disaient: "Vous ne réussirez jamais, personne n'a réussi à faire ça en aussi peu de temps." »

Chalifoux produisait déjà du yogourt en contenants grand format pour le marché institutionnel. Mais la fabrication du yogourt ferme sans gélifiant est une tout autre histoire.

« Ça prend beaucoup d'espace. Le yogourt est versé liquide dans les pots. On les envoie dans une chambre chaude à 42 °C, comme les yaourtières de nos parents, et on doit les maintenir pendant six heures pour les faire coaguler. Ensuite, on refroidit. C'est beaucoup plus long, plus fastidieux, mais le produit est de bien meilleure qualité. »

En deux ans, l'entreprise devra investir 18 millions de dollars pour l'agrandissement de l'usine et l'achat d'équipement, et près de 3 millions pour le marketing.

COUP DE POT

Ces pots, il faut encore les vendre, dans un marché féroce. « La niche des yaourts, c'est du marketing. Qu'est-ce qu'on va faire pour se démarquer ? »

À l'automne 2014, alors que le projet est déjà en marche, il apprend que Martin Valiquette, ancien directeur général chez Liberté, est sur la même piste. « Il n'avait pas d'usine et il se cherchait un fabricant. »

Ce qui semble un obstacle se révèle un coup de pot: il le convainc de s'allier à lui.

« C'était le chaînon manquant. Alsace Lait et Chalifoux, nous savions tous les deux comment faire, mais il y avait une partie qui nous manquait: un peu de savoir-faire en marketing. »

- Alain Chalifoux

C'est sous la direction de Martin Valiquette que sera conçu le design tout en délicatesse des emballages de quatre pots de 120 g - aigue-marine, pistache, bleu ciel. Les pots de verre clair, légèrement fuselés, sont fermés par une capsule d'aluminium, elle-même barrée d'un sceau.

« Nous voulions offrir une expérience, le plaisir de manger, quand la cuillère fait du bruit dans le pot de verre », décrit Alain Chalifoux.

BRASSAGE COMPLET

« Vous imaginez ? Au mois d'août, on était en production. Ça a pris six mois ! »

Le yogourt Petit Pot Riviera est apparu sur les tablettes des supermarchés IGA et Metro du Québec en septembre.

Courant octobre, il sera distribué dans les établissements Loblaws de l'Ontario, du Québec et des Maritimes. Avant la fin du mois, il atteindra l'Ouest canadien.

« Nous allons avoir environ 70 % du marché en Colombie-Britannique et dans les Prairies. Le marché national est nouveau pour nous. C'est une autre façon de faire, et c'est beaucoup de travail: logistique, informatique, gestion des entrepôts. »

Les résultats de vente, reçus le 1er octobre, sont tels qu'il prévoit déjà engager et acquérir de nouveaux équipements. « On va être obligés de travailler 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. »

Bref, « c'est un changement total ! »

Autour d'un si petit pot.