Au Québec, près de 70 % des tentatives de relève familiale échouent. Équipement de Bureau Robert Légaré est l'une des entreprises qui ont réussi cette transition. C'était il y a six ans. Le nouveau président de la PME nous explique comment sa famille y est parvenue.

Si Robert Légaré coule actuellement des jours heureux sous le soleil de la Floride, c'est entre autres parce qu'il a réussi à céder les commandes de son entreprise de vente d'équipement de bureau à ses fils. Une étape que peu d'entrepreneurs québécois de première génération réussiront.

Il faut dire que l'ancien président d'Équipement de Bureau Robert Légaré s'y est pris tôt pour faire naître chez ses fils la fibre entrepreneuriale. Alors qu'ils n'étaient encore que des adolescents, Dominic et Étienne participaient déjà à des soupers de la chambre de commerce de la région, se souvient Dominic, aujourd'hui à la tête de l'entreprise.

Jeunes adultes, les deux fils se sont ensuite dirigés vers des spécialités distinctes : l'un en gestion, et l'autre en vente, en sachant tous deux que leur formation allait leur permettre un jour de prendre la relève de leur père. Au cours de leurs études, et même après, Dominic et Étienne passeront d'ailleurs du temps à travailler dans chacune des divisions de cette entreprise familiale de Saint-Jérôme.

«Notre père a toujours dit : "Si tu veux devenir un chef d'orchestre, il faut que tu apprennes à jouer de tous les instruments", confie Dominic. Aujourd'hui, on n'est pas des premiers violons, mais au moins, on sait jouer du violon, alors c'est plus facile de comprendre les employés lorsqu'ils nous parlent d'un problème.»

Pour permettre à son fils Dominic de comprendre ce qu'est le rôle de président, Robert Légaré avait même aménagé un espace de travail dans son propre bureau.

Puis, en 2008, le père a officiellement cédé les commandes à Dominic. Étienne, pour sa part, est devenu vice-président et responsable des ventes.

UN CONSEILLER

Selon Dominic Légaré, le succès de l'opération de transfert de l'entreprise de son père est en partie attribuable à la participation d'un conseiller externe au cours du processus de passation des pouvoirs.

«Le point le plus critique d'un transfert, c'est l'aspect humain, dit-il. Notre père a fait un beau cadeau à l'entreprise en allant chercher les services d'un conseiller en transfert d'entreprise.»

Avec l'aide du conseiller, père et fils ont préparé l'opération de transfert tant sur le plan financier que sur celui de la gestion. «Il a créé des opérations à l'interne pour mieux nous structurer», explique le président de la PME. En plus de former des comités de gestion, il a ainsi proposé un plan d'intervention avec un échéancier pour chaque étape et rédigé une description de tâches pour chacun des postes qu'allaient occuper les deux fils.

«Il nous a aussi accompagnés sur le plan personnel pour arriver à effectuer cette transition-là le mieux possible», raconte Dominic Légaré.

Ainsi, Robert Légaré a appris à faire confiance à ses fils et à leur céder les pouvoirs. Une étape difficile, rappelle son fils Dominic. «Sortir l'entrepreneur de son entreprise, c'est une chose, mais sortir l'entreprise de l'entrepreneur, c'en est une autre», dit-il.

Une planification soignée

Tôt ou tard, l'entrepreneur devra céder les rênes de son entreprise. Comment préparer ses enfants à prendre le relais ? Michel Handfield, conseiller en continuité d'entreprise avec la relève chez Synergia PME, y va de ses conseils sur le sujet.

PROCÉDER À UNE INTROSPECTION

Selon Michel Handfield, tout le processus commence d'abord par un questionnement. Est-ce que le chef voudra céder son entreprise à un de ses enfants, à l'équipe qui est déjà en place, ou souhaitera-t-il obtenir le maximum possible en la cédant à un tiers ? «Tout part de ses objectifs personnels», dit-il, avant d'ajouter que ses enfants doivent aussi mûrir leur décision. «Veulent-ils prendre la relève pour eux ou pour faire plaisir à papa ?», demande-t-il.

DÉVELOPPER LA RELÈVE

Si les enfants sont pressentis pour prendre un jour la relève de l'entreprise, il faudra les y préparer. À cette fin, Michel Handfield propose d'y aller avec un plan évolutif de cheminement interne ou, en d'autres mots, d'amener la relève à apprendre «sur le tas». «Ça permet non seulement d'apprivoiser l'entreprise, de connaître ses rouages, mais aussi de donner de la visibilité à la relève», indique-t-il.

TRANSFÉRER LES POUVOIRS

«Le chef doit partager les tâches avec les pouvoirs, indique le spécialiste, en soupesant bien le mot "avec". Si tu veux que la relève prenne sa place, il faut lui laisser de la place, mais aussi les pouvoirs qui viennent avec les responsabilités.» Ce transfert de direction doit s'échelonner sur une période de trois à cinq ans, selon lui.

CONSERVER LES SAVOIRS

«C'est un volet à ne pas négliger du tout», explique Michel Handfield. Selon lui, il faut trouver une manière de conserver à l'interne trois grands types de savoirs : le «know what et know why», qui regroupent les connaissances techniques et celles en lien avec le secteur d'activité de l'entreprise ; le «know how», sur la façon d'aborder tel ou tel client, par exemple ; et le «know who», c'est-à-dire l'ensemble des relations d'affaires de la PME, tels les banquiers, les clients et les fournisseurs.

PRÉPARER LA SORTIE DU CHEF

Comme tout retraité, le chef sortant aura à se trouver un nouveau projet, souligne Michel Handfield. «Il y a une vie après l'entreprise et il faut la préparer, dit-il. Si le chef ne trouve pas un nouveau projet dans lequel il pourrait se sentir utile, comme du mentorat ou du bénévolat, il risque de revenir dans l'entreprise. S'il recrée son nid, ça pourrait faire ombrage à la relève. Celle-ci aura à développer son leadership. »