En débarquant de façon inattendue à la Pâtisserie Villeray, le fils de l'un des fondateurs a revigoré une entreprise en perte de vitesse.

Diplômé en finance, Joseph Khouri avait amorcé une carrière prometteuse chez Desjardins. Mais sans qu'il en soit vraiment conscient, le désir d'entrepreneuriat était en train de s'éveiller en lui.

«Je n'en pouvais plus de travailler pour quelqu'un d'autre, dit-il. J'avais des bonnes conditions de travail, mais j'étais malheureux.»

À l'automne 2011, à l'âge de 25 ans, il a démissionné de son poste de directeur du développement des affaires sans trop savoir ce qui l'attendait. Un peu inquiet, son père lui a glissé: «Tant qu'à ne rien faire à la maison, pourquoi ne viens-tu pas travailler avec moi?» Sans trop y penser, Joseph a dit oui.

En 1980, Souheil Khoury et Hassan Haddad, deux immigrés syriens, fondaient la Pâtisserie Villeray. L'entreprise se présente comme le plus important fabricant de baklavas du Canada. Mais depuis quelques années, les ventes périclitaient.

Quelques semaines après avoir commencé à travailler avec son père, Joseph lui a lancé: «Vous avez une mine d'or, mais personne ne s'en occupe!» Loin de s'indigner de ce coup de gueule, le sexagénaire a calmement répondu qu'après plus de 30 ans, il avait perdu le feu sacré. La voie était libre pour l'ambitieux jeune homme.

Il s'est mis sur la route, allant à la rencontre des gérants des rayons de boulangerie dans les supermarchés pour les convaincre de mettre ses produits sur leurs tablettes. Certains marchands n'avaient pas placé de commande depuis des années, Pâtisserie Villeray ayant négligé de les solliciter. D'autres laissaient passer plusieurs semaines avant de se réapprovisionner, faisant perdre de précieux revenus à l'entreprise.

Pour faciliter le suivi des commandes, Joseph Khoury a créé des fiches informatiques pour chaque client, calquant les pratiques des grandes entreprises. Stimulé par les efforts de son fils, Souheil Khoury a retroussé ses manches et allongé ses heures de travail.

Bond des ventes

En moins de deux ans, l'entreprise a doublé sa production, qui oscille aujourd'hui entre 8000 et 10 000 baklavas par jour. Le chiffre d'affaires et les profits ont suivi. Le nombre de clients dépasse aujourd'hui les 450, contre à peine une centaine avant l'arrivée de Joseph. Les trois quarts des supermarchés situés dans la vallée du Saint-Laurent, et même au-delà, offrent les produits de la Pâtisserie Villeray.

L'entreprise a fini par se sentir à l'étroit dans son local de la rue Villeray, qu'elle occupait depuis ses débuts. L'hiver dernier, elle a déménagé dans un espace quatre fois plus grand situé près du Marché central et a pris un nouveau nom: Pâtisserie Al-Sultan.

Mais Joseph n'était pas encore devenu un entrepreneur en bonne et due forme. Plus tôt cette année, il a donc récupéré l'ancien local de l'entreprise de son père pour créer la sienne: un café où l'on vend des baklavas pur beurre, de la crème glacée et des bonbons. Le commerce profite de la clientèle de l'ancienne Pâtisserie Villeray, mais bénéficie aussi à l'entreprise du paternel, puisque c'est là, évidemment, qu'il s'approvisionne en baklavas.

Même s'il travaille plus de 100 heures par semaine pour un salaire équivalent à celui qu'il gagnait chez Desjardins, Joseph Khoury ne regrette aucunement son changement de carrière.

«Je dois sacrifier ma vie personnelle, mais mon travail est beaucoup plus gratifiant qu'avant», résume-t-il. Quant à son père, âgé de 63 ans, il envisage maintenant la retraite de façon beaucoup plus sereine. Comme quoi la meilleure relève est parfois celle qu'on ne voit pas venir.

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> Pâtisserie Villeray Café: 373, rue Villeray, Montréal

> Pâtisserie Al-Sultan: 9475, rue Charles-de La Tour, Montréal