Elle se prénomme Johanne, mais se fait souvent appeler Joanel, du nom de l'entreprise de sacs à main qu'elle gère depuis 20 ans. «Aux États-Unis, il y a comme une espèce de petit caramel dans la bouche de ceux qui prononcent Joanel», note en riant Johanne Boivin.

Car Joanel s'implante de mieux en mieux aux États-Unis. L'entreprise multiplie les points de contact chez les voisins américains depuis 2011, année officielle du déploiement international de la marque. Johanne Boivin venait alors d'investir 100 000$ dans l'image de l'entreprise, son logo et ses sites transactionnels. «On a comme objectif d'ouvrir 200 comptes par année, dit la designer et présidente. On a de petites commandes. Ce n'est pas encore rentable, mais on souhaite que les États-Unis représentent 20% du chiffre d'affaires de Joanel en 2014. On investit dans les six chiffres chaque année aux États-Unis.»

Parallèlement, l'entreprise devient plus visible au Québec. À Laval, lieu du siège social et de la première boutique Joanel, qui a ouvert ses portes en octobre dernier, elle permet l'étalage des marques phares de Joanel (Ugo Santini, Joanel, Mouflon et Edgar&Sooky), sur une superficie de 3000 pieds carrés.

Plutôt que de s'engouffrer dans un centre commercial, Johanne Boivin a préféré avoir une enseigne directement sur le boulevard Le Carrefour. «Je savais exactement ce que je voulais, dit-elle. Une boutique épurée pour que les produits ressortent davantage que le design. Et je souhaitais un magasin très accessible où la cliente qui achète pour 50$ reçoit le même accueil que celle qui achète un sac Ugo Santini à 500$.»

La boutique a nécessité un investissement de 300 000$. «Louer coûte la moitié moins cher qu'un local de centre commercial, note MmeBoivin. Je suis consciente qu'il faut la faire connaître, cette adresse. Mais je voulais que ce soit une destination. Un lieu aussi pour des événements. Je ne pouvais pas ouvrir une petite boutique. Ce premier magasin, c'est le rayonnement de la marque, car nous avons 2000 clients au Canada et aux États-Unis, mais aucun n'offre toute la gamme de produits.»

La vingtaine sied bien à Joanel qui, cet hiver, a aussi offert une collection spéciale de sacs à main, qui a mis en marché son sac à main Lux (avec intérieur qui s'illumine - une technologie développée en collaboration avec le Groupe CTT) et qui a créé une collection de sacs à la demande de Pajar. «C'était une opportunité de travailler avec une entreprise établie en Europe», note Johanne Boivin.

Investir ses économies

Dans les années 90, il était difficile de croire que Joanel passerait de trois à 38 employés. «À l'époque, c'était moi et mes parents», se rappelle la fondatrice.

L'unique actionnaire de Joanel a investi tout ce qu'elle avait pour créer et assurer sa pérennité deux fois plutôt qu'une. «Je me suis lancée avec mes économies (10 000$), raconte-t-elle. On avait moins accès aux subventions, à l'époque. Et peu de gens voulaient s'associer à une fille qui voulait confectionner des sacs à main. Comme j'ai travaillé 13 ans pour le Groupe Yellow, j'ai alors utilisé mes contacts d'affaires. Browns a été l'un des premiers clients.»

À ses quatre premières années d'existence, alors qu'elle ne propose que la collection Ugo Santini, Joanel peine à être rentable. «Le dollar canadien était très faible. J'avais des marges très petites, se souvient Johanne Boivin. En 1995, un compétiteur m'a proposé d'abandonner mon rêve et de lancer une division sacs à main dans son entreprise. Je l'ai plutôt convaincu de devenir partenaire à 50% dans mon entreprise. Il a accepté à deux conditions: la profitabilité de l'entreprise en deux ans et une clause shot gun dans le contrat d'actionnaires. Je n'avais aucun pouvoir de négociation...»

Johanne Boivin crée alors la gamme de sacs abordables Mouflon, devenue rentable en six mois. Aujourd'hui Mouflon représente 45% des ventes totales de Joanel. «Et c'est appelé à grossir, car on vient d'entrer dans 30 magasins Sears supplémentaires pour un total de 100», note Johanne Boivin.

Joanel atteint le chiffre d'affaires d'un million en 1997 et crée sa troisième gamme: Joanel. «Mais cette année-là, tout a basculé, raconte Mme Boivin. Mon partenaire a exercé sa clause shot gun. J'ai dû trouver de l'aide pour racheter ses parts. Mon mari et moi avons donc vendu notre triplex centenaire sur le boulevard Gouin qu'on venait de retaper.»

Si, depuis 2011, le chiffre d'affaires stagne, la percée américaine et l'ouverture de la boutique pourraient amener de l'eau au moulin.