Depuis 40 ans, contre vents et marées, Nicole Lelièvre, présidente de l'Office général des eaux minérales, fait la promotion de son produit phare: l'eau minérale Saint-Justin. À une époque où l'on vante pourtant les vertus de l'achat local, rien n'est acquis pour cette femme d'affaires. Elle s'apprête à redonner un nouvel élan à l'entreprise qu'elle dirige désormais avec ses fils.

Dans un plan d'action étoffé qu'elle met actuellement en place, Nicole Lelièvre souhaite faire flèche de tout bois. Dans un premier temps, elle va revoir l'image de marque de Saint-Justin afin d'augmenter ses parts de marchés au Québec, puis faire des percées au Canada et ailleurs dans le monde.

Depuis 1973, elle ne ménage aucun effort pour faire connaître et vendre son eau minérale. Saint-Justin se bat depuis longtemps contre Perrier et San Pellegrino, deux marques appartenant au géant et numéro un mondial de l'eau embouteillée Nestlé.

Or, voilà qu'Eska (une eau abitibienne propriété de la banque d'investissement Morgan Stanley à New York) vient de s'immiscer dans la partie. L'arrivée d'Eska dans le créneau des eaux gazéifiées laisse Nicole Lelièvre dubitative. «Ce n'est pas une eau minérale, mais une eau de source à laquelle ils ont ajouté du gaz carbonique. J'aimerais que le consommateur comprenne cela», dit-elle.

Nicole Lelièvre s'insurge, car seule une eau minérale est propice à la digestion. L'eau Saint-Justin se démarque d'ailleurs à cet égard. Elle est douce, naturellement pétillante (bien qu'on lui ajoute un peu de CO2 avant son embouteillage) et elle contient un taux élevé de bicarbonate de soude (HCO3) lui conférant des propriétés digestives supérieures, soutient la chef d'entreprise.

Secret bien gardé

Selon Jacques Nantel, professeur titulaire au service de l'enseignement du marketing à HEC Montréal, l'eau Saint-Justin est l'un des secrets les mieux gardés au Québec. «Et c'est consternant! Saint-Justin devrait avoir plus de parts de marchés. Les eaux minérales qui se vendent au Québec sont toutes importées dans des bouteilles de verre. Imaginez ce que ça coûte en frais de transport», dit-il.

Devant des géants comme Nestlé ou Morgan Stanley, on peut difficilement se battre à armes égales. Jacques Nantel suggère donc à Nicole Lelièvre de faire du «marketing de guérilla», c'est-à-dire d'utiliser des canaux alternatifs pour faire connaître son produit. «Je leur recommanderais également de faire ce que les microbrasseries ont fait à leurs débuts, soit miser sur la restauration et les dépanneurs», dit-il.

Mais tout ça, la présidente de la PME de 15 employés y a pensé. L'eau Saint-Justin n'a pas encore su prendre sa place dans les dépanneurs Couche-Tard, pourtant de propriété québécoise. Et Eska a jeté un pavé dans la mare du secteur de la restauration, où Nicole Lelièvre se taillait une place lentement, mais sûrement, en signant avec l'ancien distributeur de Saint-Justin.

On lui a fortement suggéré de changer l'allure de son produit, question de le rendre plus sexy. Elle n'en est pas convaincue. Mais elle s'en remettra à ce que ses fils, mais aussi les groupes de discussion, lui feront comme recommandations. La bouteille en verre de couleur verte fera-t-elle place à une bouteille translucide? Seul l'avenir nous le dira.

L'eau Saint-Justin est offerte en deux formats: 355 ml et 750 ml. Nature ou aromatisée au citron-lime. Elle trouve preneurs dans des centaines de points de vente au Québec (90% des revenus de l'entreprise) et en Ontario (10%).

La PME connaît une croissance soutenue. Nicole Lelièvre préfère ne pas dévoiler son chiffre d'affaires, mais affirme que l'entreprise se porte bien. Du moins, beaucoup mieux qu'il y a sept ans lorsque les géants de l'alimentation lui ont coupé l'herbe sous le pied.

À l'époque, l'entreprise montréalaise, dont la source est située à Saint-Justin, au sud-ouest de Trois-Rivières, embouteillait l'eau minérale pour les marques privées de Sobeys et autres Metro de ce monde. Du jour au lendemain, on lui a préféré un embouteilleur d'eau italien, affirme Mme Lelièvre. Résultat: l'entreprise a perdu près de la moitié de son chiffre d'affaires.

La source de Saint-Justin a été découverte en 1895. On y embouteille de l'eau depuis plus d'un siècle. L'entreprise a passé entre plusieurs mains. En 1971, elle est devenue la propriété de Paul Dagenais-Pérusse, un pédiatre qui vantait les vertus de l'eau minérale au point de prescrire de l'eau Vichy Célestin à certains de ses patients avant d'acquérir la source de Saint-Justin. M. Dagenais-Pérusse, mort en 1994, était le conjoint de Nicole Lelièvre. Ils se sont rencontrés à l'époque où la femme d'affaires était jeune infirmière.

Même si elle n'occupe qu'une fraction du marché des eaux minérales en bouteille, la PME sait qu'elle dérange. Elle reçoit sporadiquement des offres d'achat. «On nous observe, ça je le sais. Ça vient prouver qu'on a entre les mains un produit exceptionnel», dit Nicole Lelièvre.

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Office général des eaux minérales

- Produit phare: eau minérale Saint-Justin

- Chiffre d'affaires: N/D

- Nombre employés: 15

- Siège social: Montréal

- Objectif: augmenter sa présence au Québec, dans le reste du Canada et, ultimement, tenter une percée ailleurs dans le monde.