Grande première dans l'histoire centenaire du ski au Québec: une station privée, accessible à une poignée de membres, ouvrira ses portes l'hiver prochain. Aménagé dans les Laurentides sur le site du défunt domaine skiable du mont Sauvage, ce club privé fait partie d'un projet immobilier de 125 millions de dollars piloté par le promoteur Via Sauvagia.

L'endroit n'aura cependant rien à voir avec les stations privées de l'Ontario, dont certaines sont aussi développées que Ski Bromont et où devenir actionnaire coûte entre 25 000$ et 50 000$. Le mont Sauvage, fermé depuis 1996, aura des allures beaucoup plus modestes. «Pour la première saison, nous n'aurons qu'une piste d'ouverte et qu'une remontée mécanique en marche. Le chalet, une sorte de bâtiment communautaire, sera construit ultérieurement», explique Yves Simard, VP ventes et marketing et co-actionnaire de Via Sauvagia.

Malgré sa modestie, cette approche est tout à fait nouvelle ici. Elle existe certes dans le secteur du golf. Sur les 349 terrains de golf du Québec, 32 sont privés. Mais selon Danielle Soucy, historienne du ski et auteure du livre Des traces dans la neige - Cent ans de ski au Québec, ce sera la première fois qu'un domaine skiable n'est accessible qu'à un petit cercle d'utilisateurs.

Le projet Via Sauvagia prévoit la construction, d'ici cinq ans, de 277 habitations sur le mont Sauvage, une montagne qui chevauche deux municipalités: Sainte-Adèle sur le côté sud, et Val-Morin sur le côté nord. Des maisons de ville, des maisons individuelles (à partir de 500 000$) et des appartements en copropriétés (à partir de 200 000$) y seront érigés. Six maisons sont actuellement en construction et les travaux d'une unité de 10 appartements en copropriété commenceront en juillet prochain.

Ce qui est déjà suffisant pour faire revivre le mont Sauvage dès la saison 2012-2013, affirme Yves Simard. À terme, la montagne comptera environ huit pistes, deux remontées (des arbalètes ou «T-Bar»), une dameuse et quelques employés. «C'est un modèle d'affaires viable. On n'est pas obligés d'installer un télésiège. Pourquoi construire un Centre Bell quand ce n'est pas nécessaire? Le fait de ne pas être ouvert au public nous permet de minimiser nos dépenses», dit Yves Simard, devant une maquette du projet.

Pour financer les installations sportives, chaque propriétaire doit payer une adhésion de 10 000$, puis une mensualité permanente de 207$. Cet argent servira à payer la station de ski, mais aussi à aménager et à entretenir un sentier multidisciplinaire de 7,5 km, de même que deux piscines (intérieure et extérieure) et un pavillon communautaire. Lorsque l'ensemble des maisons et des appartements aura été construit, les installations deviendront la propriété des résidants, dit Yves Simard.

D'autres stations pourraient renaître

Cette première station de ski privée fera-t-elle des petits au Québec? Fera-t-elle renaître de ses cendres les nombreux domaines skiables disparus ou abandonnés. Rien que dans les Laurentides, on en compte plus de 20, dont Sun Valley, mont Castor et plus récemment, Grey Rocks.

Dans les Cantons-de-l'Est, le mont Glen est en voie de devenir la deuxième montagne de ski privée de la province. «Mais le timing n'est pas bon. La construction est en baisse. On aime mieux attendre. On a rénové le chalet au complet et on entretient les pistes régulièrement. Quand ce sera le temps, on va être prêts», explique Maryo Lamothe, propriétaire du mont Glen, une montagne située à Bolton Ouest, soit à un jet de pierre du village de Knowlton.

M. Lamothe est un promoteur immobilier très actif sur la Rive-Sud de Montréal, principalement à Candiac et à La Prairie. Pour le développement du mont Glen, le promoteur vendra sa spécialité: des maisons de prestige à 500 000$ et plus. Selon lui, pas question d'installer de nouvelles remontées mécaniques. «Ce sera du catski; on va remonter les skieurs dans un véhicule à chenillette», dit-il.

Les stations de ski privées ont évidemment leur place au Québec, mais elles ne seraient pas la voie de l'avenir, croit Alexis Boyer, directeur des affaires publiques à l'Association des stations de ski du Québec (ASSQ). «On reçoit régulièrement des appels de promoteurs qui travaillent sur différents projets. Mais ça ne va pas plus loin. Créer une station privée exige un important travail en amont. À long terme, c'est quelque chose de très difficile à soutenir», dit-il.

Le porte-parole de l'ASSQ croit que les quelque 80 domaines skiables de la Belle Province arrivent encore à tirer leur épingle du jeu en «développant des créneaux et en occupant des niches». Il cite en exemple le mont Saint-Bruno et son école de ski ultra performante (l'une des plus importantes en Amérique du Nord en terme d'employés) et le mont Gleason (Centre du Québec), un OSBL qui a reçu l'aide de la famille Lemaire, de Cascades, pour le rôle qu'il joue dans sa communauté.

Et contrairement aux rumeurs, l'industrie québécoise du ski n'est pas aussi moribonde qu'on le croit. Le nombre de jours/ski par hiver se maintient autour de six millions depuis presque 20 ans.