On l'oublie volontiers, mais un repreneur d'entreprise risque son propre argent quand il rachète une PME. Imaginez le stress du proprio quand l'entreprise qu'il vient d'acquérir voit son plus gros client lancer un appel d'offres public au renouvellement du contrat, de quoi lui faire regretter momentanément ses années comme simple salarié.

C'est ce qu'a vécu Éric Morin, 46 ans, président de Bouty, une PME méconnue de Montréal-Nord qui fabrique des chaises de bureau depuis 60 ans. Un manufacturier de taille modeste avec ses 40 employés comme il en existe de moins en moins au Québec depuis l'essor industriel de la Chine.

Bien que cet ancien gestionnaire de filiales des imprimeries Quebecor ait racheté Bouty en 2009 en toute connaissance de cause en ce qui a trait au contrat d'Hydro-Québec, ça ne rendait pas l'enjeu moins crucial pour autant.

«C'était le plus gros risque auquel j'avais à faire face en rachetant l'entreprise, pas de doute», reconnaît-il d'emblée dans une entrevue à l'usine de la société, rue Pelletier dans le parc industriel de Montréal-Nord. «C'est LE contrat dans les articles de bureaux au Québec», se plaît-il à répéter.

Bouty fournit les milliers d'employés de la société d'État en chaises depuis 2005. Si le contrat lui échappait au renouvellement, la société aurait perdu son plus gros client. L'ordre de grandeur du contrat varie de 1 à 3 millions pour une période de 36 mois, indique Gary Sutherland, porte-parole d'Hydro-Québec. Ses employés le savaient tout comme ses concurrents.

Mais comment remporter le contrat sans se déshabiller le sachant convoité par tous vos concurrents, dont certains sont des multinationales américaines ayant nettement plus de moyens?

«Nous avons travaillé très fort avec nos fournisseurs pour aller négocier des ententes d'approvisionnement à l'avantage de tout le monde. Ce qui nous a aidés, c'est que le contrat était aussi important pour nos fournisseurs que pour nous. Ces gens-là nous ont aidés à faire l'offre la plus concurrentielle possible», explique-t-il.

L'histoire se termine bien pour Bouty. Le 14 novembre dernier, Hydro-Québec a reconduit l'entente d'une durée maximale de sept ans. L'avenir assuré pour les prochaines années, le personnel a trinqué au champagne à l'annonce du renouvellement.

À l'épreuve des Chinois

Le président a relevé son premier défi de taille dans sa nouvelle vie d'entrepreneur. Il y en aura d'autres. Éric Morin est fin prêt. Il a longuement mûri sa décision de devenir entrepreneur pour la première fois de sa vie. Il a pris 12 mois avant de jeter son dévolu sur Bouty.

«Je cherchais une entreprise China Proof», dit-il. Pour lui, vendre comme le fait Bouty à des entreprises et des institutions le met à l'abri de la concurrence directe d'Asie. Cette clientèle, qui paie bien même en des temps difficiles, valorise la qualité du produit, ses qualités ergonomiques, son design et le service après-vente. Des domaines où les Chinois peinent à soutenir la comparaison.

«Souvent, les institutions tiennent à ce que le produit soit fabriqué au Québec», ajoute-t-il. C'était le cas avec le contrat d'Hydro-Québec.

Entreprise fondée par Eugène Bouthillier et sa femme Mariette en 1949, Bouty est passée aux mains de leurs filles Josée et Sylvie en 1985, qui l'ont vendue à Éric Morin et à son associé Stéphane Abraham. Aujourd'hui, Bouty réalise des ventes de près de 12 millions et offre 21 gammes de produits. Outre Hydro, elle dessert des institutions comme les universités et les hôpitaux.

Prospecter aux États-Unis

Depuis l'entrée en scène du nouveau proprio, l'image de la société a été modernisée pour refléter son changement de statut d'entreprise familiale à PME. Les délais de livraison ont été raccourcis. Un partenariat avec un équipementier de bureau allemand a aussi été conclu, ce qui a permis à Bouty d'offrir trois nouvelles lignes de produits au design européen inspirant, mais fabriquées chez Bouty, à Montréal-Nord.

Bouty et ce même partenaire allemand investissent actuellement un demi-million dans l'élaboration d'un réseau de distribution aux États-Unis où le manufacturier est virtuellement absent.

«Il y a toujours dans quelque situation économique que ce soit, des occasions qui se présentent. Il faut trouver la bonne. Dans notre cas, c'est l'établissement d'un réseau de distribution aux États-Unis, à un moment où les distributeurs potentiels ont le temps d'écouter notre proposition», dit Éric Morin, qui identifie le développement des affaires comme sa priorité en tant que patron de PME québécoise.