Comment un fromage fabriqué par un artisan solitaire dans un rang de campagne se retrouve-t-il dans le comptoir d'une fruiterie montréalaise?

Grâce à un efficace réseau de distribution.

C'est ce que fait Nancy Portelance depuis 10 ans: rendre accessibles partout en province des produits artisanaux. Tout le monde y gagne: le fromager qui n'a ni le temps ni les moyens de mettre sur pied un réseau de distribution pour ses produits et le consommateur qui peut découvrir des fromages rares qui ne se rendraient jamais jusqu'à lui autrement.

Nancy Portelance est la fille d'un producteur laitier qui a légué la fibre entrepreneuriale à toute sa famille. Lorsqu'elle s'est lancée en affaires, la jeune femme voulait vendre du fromage. Mais pas n'importe lequel: le fromage qui est fait par celui qui produit aussi le lait. Du fromage artisanal qui a une saveur et une personnalité qu'on ne peut reproduire en industrie.

C'est avec le Pied-de-Vent que son aventure a commencé. La fromagerie des Îles-de-la-Madeleine, géographiquement isolée, a confié la distribution de son fromage à Nancy Portelance, qui a du coup lancé son entreprise, Plaisirs gourmets. «On parlait de plus en plus du Pied-de-Vent dans les médias, raconte-t-elle. Les gens le cherchaient en boutique, mais ne le trouvaient pas.»

Elle a proposé une alliance avec les fromagers madelinots: elle allait faire la promotion auprès des détaillants et son amoureux et nouvel associé, Louis Gadreau, qui aimait bien faire de la route, s'occuperait de la livraison. «Nous avons été à la bonne place, au bon moment», dit la distributrice. Les petits fromages d'ici commençaient à être en demande, mais ils avaient des problèmes de distribution.

À l'automne 1999, la fromagerie de l'Île-aux-Grues, reconnue pour ses cheddars, voulait prendre de l'expansion. Plaisirs gourmets a obtenu le contrat de distribution des nouveaux produits, dont le Riopelle et le Mi-Carême qui sont devenus très populaires.

Au fil des ans, le catalogue de fromages s'est élargi et Nancy Portelance s'est retrouvée au coeur d'un regroupement de personnages forts en caractère. Elle représente maintenant 16 fromageries de partout au Québec.

L'entreprise distribue 170 tonnes de fromages annuellement. Son carnet compte 500 clients, de l'épicerie montréalaise à la boulangerie de Carleton.

Forte demande

Chaque client fait ses commandes selon les produits offerts. Car il y a parfois rupture de stocks. La demande excède l'offre. Lorsque le bleu d'Élisabeth a raflé le grand prix Caseus le mois dernier, la demande a doublé. Même phénomène lorsque le Kénogami de la fromagerie Lehmann a été sacré meilleur fromage du Canada le printemps dernier. Or, un artisan ne peut doubler sa production de fromage en claquant des doigts.

«C'est la force d'un réseau, explique Nancy Portelance. La réalité des artisans est que leurs fromages ne sont pas toujours disponibles. Mais on peut en faire découvrir un autre au client.» Ce faisant, la distributrice de Neuville a joué un rôle-clé dans la promotion des fromages artisans d'ici.

Plaisirs gourmets compte maintenant se tourner vers l'Ontario et l'Ouest canadien pour développer de nouveaux marchés. Certains détaillants hors Québec sont avides de fromages artisanaux d'ici. Pour l'entrepreneure, cette diversification est importante dans un marché qui, parce qu'il est jeune, est encore fragile.

«On nous dit toujours qu'en affaires, le plus important est de passer le cap des cinq ans, dit-elle. Avec le recul, je vois qu'il n'y a jamais rien d'acquis. Ce n'est pas parce que tu étais là il y a cinq ans que tu vas l'être dans dix ans. La différence, c'est que, avec les années qui s'additionnent, l'entreprise est plus solide. S'il arrive une mauvaise période ou une crise...»

Nancy Portelance rit un peu, plutôt que de terminer sa phrase. La crise, lorsqu'on parle à quiconque travaille avec le fromage, a frappé l'année dernière sous la forme d'une petite bactérie nommée Listeria. En septembre 2008, le chiffre d'affaire de Plaisirs gourmets a reculé de 70%. Les consommateurs n'achetaient plus de fromages artisanaux. Des fromagers qui faisaient affaire avec Mme Portelance ont cessé de produire. De quelques semaines à quelques mois.

Pour la première fois, en 2008, Plaisirs gourmets n'a pas connu de croissance annuelle, alors qu'elle avait une vitesse de croisière de 15% auparavant. La dernière année s'est terminée, ce qui est déjà bien compte tenu de la bombe de la listériose et des cicatrices qu'elle a laissées dans le milieu.

Prochain défi: se retrouver une appellation commune. Il y a deux ans, pour se différencier des fromages industriels qui aiment bien se faire passer pour des produits artisanaux, le groupe a adopté le nom «Fromages de pays». Le logo était apposé sur tous les fromages. Pour des raisons de propriété intellectuelle, ce nom doit être abandonné maintenant, une autre entreprise en réclamant la paternité. Mais il faudra le remplacer. Car le nom était aussi une source de fierté pour des artisans qui aiment bien être reconnus pour ce qu'ils sont: des artisans de fromages de caractère.