D'ici Noël, la production en série d'un serre-vis sera rapatriée à l'usine Thomas&Betts de Saint-Jean-sur-Richelieu, grâce à une nouvelle chaîne de fabrication automatisée à haute cadence.

Depuis 2005, la firme Thomas&Betts fait fabriquer en Chine ses serre-fils Cobra, un produit qu'elle vend aux entrepreneurs en construction et aux exploitants d'usine. Ce gadget simple est un succès commercial et arrive en Amérique du Nord par pleins conteneurs.

Mais d'ici Noël, la production en série du Cobra sera rapatriée à l'usine Thomas&Betts (T&B) de Saint-Jean-sur-Richelieu, grâce à une nouvelle chaîne de fabrication automatisée à haute cadence. Les machines, installées par l'intégrateur en robotique IMAC, de Brossard, cassent le China Price.

«On a pris la décision l'an dernier de ramener à l'interne la production du Cobra parce que, en considérant tout, automatiser la production de ce produit ici est moins cher que de le faire faire en Chine», affirme l'ingénieur industriel Alain Quintal, vice-président Technologies et opérations au siège social de T&B Canada, à Saint-Jean.

Cela est un signe de temps nouveaux et intéressants: le coût de l'automatisation et de la robotisation baisse sans cesse et approche celui de l'humain. Cette tendance donne de nouvelles options aux manufacturiers du Canada et des autres pays développés, face aux pays à main-d'oeuvre bon marché. Cela peut être une bonne nouvelle pour l'emploi (mais pas nécessairement). Généralement, les investissements en robotique sont accompagnés d'une hausse des qualifications des employés, note Luc Vanden-Abeele, conseiller en automatisation/robotisation au Centre de recherche industrielle du Québec.

«Les taux de chômage sont les plus faibles là où la robotisation est la plus poussée, observe-t-il. L'investissement dans les robots nécessite une hausse des compétences; l'investissement en capital et en formation protège les emplois.»

Le Cobra est un produit ingénieux, mais résolument low-tech: un U en métal muni d'une vis qui pousse une bride, et qui sert à grouper des fils électriques sur un mur ou un plafond. C'est un produit fabriqué en série, dans des dizaines de tailles, une «penny business» où le profit unitaire est relativement bas.

Même dans ce contexte, l'automatisation permet à l'usine de Saint-Jean-sur-Richelieu de damer le pion à la Chine.

«Il faut comparer le coût total, pas le coût unitaire brut, dit Alain Quintal. C'est quand on mesure tout que l'automatisation et la robotisation, ici, est moins chère que la Chine.»

Sur le coût unitaire brut du Cobra, les Chinois sont encore quelques sous moins chers que le coût automatisé canadien, dit la présidente de T&B Canada, Nathalie Pilon. Mais en éliminant les coûts d'inventaire, logistiques, de transport, d'inspection liés à l'importation, c'est moins cher, plus simple et plus flexible ici, dit-elle. «Et c'est nous qui avons le contrôle sur la qualité de notre produit.»

Dans le coût total, T&B inclut le coût d'opportunité par exemple, d'avoir été en rupture de stock dans les mois suivant la mise en marché du Cobra, il y a trois ans. «Les ventes ont décollé au-delà des prévisions et on s'est retrouvé B/O (back-order) 18 mois après, en février 2007, sans aucune capacité d'ajuster la production, dit Mme Pilon. Quand tu fabriques en Chine, c'est 12 à 16 semaines pour ajuster le flot d'inventaire.»

«Nous, on veut que la production s'adapte à la demande, avec un temps de réponse qui se calcule en jours, pas en mois.»

La nouvelle chaîne de fabrication, qui sera installée d'ici Noël chez T&B à Saint-Jean-sur-Richelieu, aura coûté environ 1 million de dollars. Elle aura un impact minime sur l'effectif - deux techniciens de plus - mais, «comme chaque amélioration de la productivité, elle protège les emplois existants», dit la présidente Nathalie Pilon.

Le projet Cobra n'implique pas de robots, mais deux machines dédiées à haute cadence. T&B a aussi robotisé deux lignes de fabrication d'autres produits à son usine de Saint-Jean, ce qui lui a coûté un autre million. Et il y a aura au moins deux autres lignes de fabrication robotisées, dont un projet majeur de 4 millions de dollars, impliquant 11 robots. Ces deux nouvelles chaînes robotisées doivent entrer en fonction d'ici la fin de 2009.

«Dans les prochaines trois années, je devrais voir rentrer 10 robots par année», dit Michel Pinet, selon qui aucune autre usine de T&B n'est aussi robotisée.

Couper l'acier et les coûts

Un million n'est pas de la menue monnaie, mais on est loin des projets pharaoniques de 100 millions dollars que seules les grandes multinationales automobiles et électroniques pouvaient se payer il y a quelques années à peine. On parle d'investissements à la portée des PME, dit Michel Pinet, directeur de l'usine de Saint-Jean-sur-Richelieu.

«Le robot lui-même n'est pas cher, 15 000$ US; c'est un modèle Fanuc (un roboticien japonais) tout ce qu'il y a de plus standard. Ce qui est plus cher, c'est son "intégration", la programmation informatique et l'adaptation de ce robot dans notre chaîne de production», explique M. Pinet.

La robotisation est aussi une solution à la pénurie de main-d'oeuvre spécialisée. «Nous avons deux usines où on a besoin de soudeurs, à Iberville et à Edmonton, dit le vice-président Alain Quintal. Ici, on parvient encore, en cherchant, à trouver des soudeurs. En Alberta, oubliez ça. Alors, on va installer deux robots-soudeurs à notre usine d'Iberville. Dès qu'on va avoir rodé le système ici, on va le copier dans notre usine d'Edmonton, qui fait le même produit pour l'Ouest.»

L'ingénieur Michel Pinet, patron de l'usine de Saint-Jean-sur-Richelieu, a monté le plan d'affaires du projet Cobra avant la crise financière, alors que le dollar canadien était presque au pair avec la devise américaine. «Le projet était rentable avec un dollar à 95 cents. Il l'est encore plus aujourd'hui. À part l'acier, qu'on paie en dollars US, tous les coûts relatifs ont baissé avec le dollar canadien, l'infrastructure, nos salaires, le coût des intégrateurs, etc. Avec le dollar au niveau actuel, ça marche encore mieux.»