Après une saga judiciaire de plus de 10 ans, Le Journal de Montréal et TVA, qui appartiennent au géant Québecor, ont perdu leur cause devant la Cour supérieure dans un litige les opposant au Conseil de presse du Québec.

TVA ainsi que MédiaQMI, qui regroupe plusieurs journaux au Québec, dont Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et le 24 heures, ont perdu vendredi une joute majeure qui les oppose depuis 2010 au Conseil de presse du Québec, tribunal d’honneur chargé de traiter les plaintes déontologiques contre les journalistes et les médias d’information.

La décision rendue vendredi par le juge Bernard Jolin rejette les prétentions de l’entreprise médiatique, qui cherchait notamment à se soustraire à la juridiction du Conseil de presse et réclamait des dommages à la suite de deux décisions défavorables rendues contre Le Journal de Montréal.

« Pour nous, c’est une grande victoire », a lancé en entrevue Pierre-Paul Noreau, président du Conseil de presse.

C’est un jugement qui est très solide et qui, à notre avis, ne laisse place à aucune interprétation.

Pierre-Paul Noreau, président du Conseil de presse

Le Conseil de presse est un organisme privé à but non lucratif créé en 1973 qui a pour but de préserver la liberté de la presse et de défendre le droit du public à une information de qualité. Il enquête sur des plaintes et rend des décisions basées sur un code de déontologie, en lien avec des produits journalistiques à travers la province.

Dissension

En 2008, le Groupe TVA a cessé d’être membre du Conseil de presse, suivi deux ans plus tard de MédiaQMI. La raison : un « désaccord avec les décisions et les orientations du Conseil de presse », indique le jugement de la Cour supérieure.

Or, le Conseil de presse a continué de recevoir des plaintes concernant ces deux médias, d’enquêter et de rendre publiques des décisions à leur sujet.

Selon MédiaQMI, les décisions défavorables rendues portaient atteinte à sa réputation et violaient sa liberté de ne pas s’associer au Conseil de presse.

L’entreprise demandait aussi un dédommagement financier de plus de 400 000 $ en réparation des dommages allégués à la suite de deux plaintes réalisées par le Conseil de presse touchant Le Journal de Montréal et certains de ses journalistes et chroniqueurs.

Québecor n’avait pas répondu à la demande d’entrevue de La Presse au moment où ces lignes étaient écrites.

Défaits sur toute la ligne

Dans un jugement de 40 pages, le juge Jolin défait un à un les arguments de MédiaQMI et TVA. La décision fait suite à des audiences qui se sont déroulées en septembre 2022.

Rien ne contraint MédiaQMI et TVA à adhérer au Conseil [de presse]. [Le] processus de traitement des plaintes ne viole pas leur droit à la liberté d’association protégé par l’article 3 de la Charte et plus particulièrement leur droit de ne pas s’associer.

Extrait de la décision du juge Bernard Jolin

Le juge tranche aussi en faveur du Conseil de presse sur la question de la liberté d’expression. « Comme toute personne physique et morale, le Conseil jouit de la liberté d’expression protégée par la Charte et les décisions rendues au terme de son processus de traitement des plaintes sont le fruit de l’exercice de cette liberté », affirme-t-il.

En rendant des décisions défavorables en lien avec deux articles du Journal de Montréal, et en diffusant ces décisions, « le Conseil n’a pas commis de faute en ce qu’il ne s’est pas écarté du comportement qu’aurait adopté une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances », écrit le magistrat.

« Une épée de Damoclès »

Pierre-Paul Noreau estime que le Conseil ressort « solidifié et légitimé » par cette victoire juridique. Or, à l’heure où le public est de plus en plus méfiant envers les médias, le président estime que le rôle du Conseil est d’autant plus crucial.

« Il faut que les gens puissent se plaindre s’ils estiment qu’il y a un écart de pratique [journalistique], soutient-il. Ce jugement envoie le message que les journalistes et les médias au Québec ne font pas n’importe quoi, qu’ils respectent des règles de bonne pratique, un code de déontologie. Pour moi, le paysage médiatique québécois ne se porte que mieux avec le Conseil et son travail de surveillance de la qualité de ce qui s’y produit. »

De surcroît, le dénouement du litige est un soulagement financier pour l’organisme à but non lucratif, reconnaît-il. « Se préoccuper d’une procédure comme celle-là, c’était comme une épée de Damoclès au-dessus du Conseil. »