Des questions du Fonds des médias du Canada (FMC), visant à promouvoir la diversité, font réagir des producteurs qui les trouvent intrusives. Depuis avril, l’organisme canadien qui attribue du financement à des productions télévisuelles et cinématographiques demande de remplir un questionnaire pour connaître la composition des équipes de production.

On y trouve notamment des questions sur le genre, l’orientation sexuelle, l’origine et les handicaps (autisme, surdité, etc.) des gens engagés. « Ce document est vraiment une intrusion dans la vie privée des gens, s’indigne le producteur et réalisateur Alexis Durand-Brault, d’Also Productions. On ne peut pas rentrer dans la chambre à coucher des gens. La sexualité, c’est complexe. La vie, c’est compliqué. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Durand-Brault, réalisateur, producteur et cofondateur d’Also Productions

Si j’ai un employé qui est depuis peu en couple avec un homme après avoir été toute sa vie avec des femmes, il répond quoi ? L’orientation sexuelle des gens n’est l’affaire de personne.

Alexis Durand-Brault, réalisateur, producteur et cofondateur d’Also Productions

Des producteurs, scénaristes, réalisateurs et autres détenteurs de postes clés sur des tournages sont fortement invités à le remplir. « Je ne comprends pas, renchérit Ginette Guillard, productrice déléguée indépendante. Certaines questions posées ne regardent personne. On nous demande notre genre, comment on se définit. C’est déplacé. C’est une manière de discriminer des groupes. Je suis en total désaccord. C’est une intrusion dans la vie des gens. »

Ginette Guillard dit avoir rempli le questionnaire après des demandes insistantes d’une production. Baptisé Persona-ID, il permet d’obtenir un numéro d’identification. « Pour avoir mon numéro, je l’ai complété, dit-elle. Mais il y a des questions auxquelles j’ai refusé de répondre. Je n’ai rien à cacher, mais en quoi ça les regarde de connaître mon orientation sexuelle ? Qu’est-ce que ça vient faire dans le financement d’un film ? Pour privilégier certains groupes ? C’est de la discrimination. »

Pas lié au financement

Le FMC se défend d’obliger les équipes de production à remplir ce questionnaire qui fait œuvre, selon lui, de sondage pour connaître la composition des équipes, dit-il. En entrevue, on a répété à La Presse qu’il n’était en rien lié à l’attribution de financement.

« Persona-ID fait partie des efforts du FMC pour surmonter les défis de diversité et d’inclusion, affirme Tamara Mariam Dawit, vice-présidente, croissance et inclusion du FMC. Il a pour but de connaître la composition des entreprises. Depuis deux ans, l’intérêt augmente à cet effet. »

PHOTO FOURNIE PAR LE FMC

Tamara Mariam Dawit, vice-présidente, croissance et inclusion du FMC

On encourage à le remplir, car ça nous aide à dessiner une démographie. Ce n’est pas obligatoire, mais il y a une valeur à le faire. Tout le monde en bénéficie.

Tamara Mariam Dawit, vice-présidente, croissance et inclusion du Fonds des médias du Canada

« Ce n’est pas un simple sondage, estime Ginette Guillard. Il faut qu’on nous accorde un numéro pour que les producteurs puissent accéder à leur demande de financement. Il est écrit sur le site : « Persona-ID a été créé dans le cadre de notre stratégie d’équité et d’inclusion dans le but de mieux mesurer et surveiller la représentation démographique dans les projets soumis au FMC et dans ceux obtenant son soutien financier, et de s’assurer que l’ensemble des créatrices et créateurs de contenus du Canada y participe. » »

Le FMC laisse le choix aux répondants de ne pas répondre aux questions jugées trop personnelles. « De telles questions ont été établies après consultation auprès de plusieurs communautés », affirme Tamara Mariam Dawit.

Pour savoir qui compose le milieu

Le Fonds se réjouit de recueillir éventuellement des données qui permettront de savoir qui accède à ses programmes et qui compose le milieu. Du côté des producteurs, on se demande de quoi il en retournera précisément avec ces futures données et à quel point elles influeront sur les productions à venir.

« Ce n’est pas encore très clair, la façon dont le FMC va les utiliser, dit Antonello Cozzolino, producteur chez Attraction, qui admet n’avoir senti aucune pression pour remplir le questionnaire. Est-ce que ça aura une incidence sur nos projets ? Il y aura un plan éventuellement. On verra ! »

Le FMC avoue aller de l’avant avec le sondage dans un objectif de diversification de la composition des équipes de production. « Ce n’est pas dans le but de mettre de côté des gens, mais d’inclure des gens », résume Tamara Mariam Dawit.

« L’intégration des communautés culturelles et autochtones est essentielle pour sauver les cultures, dit Alexis Durand-Brault. Mais là, on se mêle de la vie sexuelle et privée des gens. C’est inadmissible. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nicola Merola, président de Productions Pixcom

Nicola Merola, président de Productions Pixcom, est du même avis. « C’est honteux, le trop petit nombre de réalisatrices au Québec qui ont tourné pour la télévision ces cinq dernières années, par exemple, lance-t-il. Que les institutions nous forcent à embaucher des gens issus des minorités et des femmes est donc très positif. Mais, ici, on va un peu loin dans la collecte de données pour faire… je ne sais quoi. »