Alors que le gouvernement Trudeau veut déposer un projet de loi d’ici la fin de l’année 2021 pour les forcer à partager leurs revenus publicitaires avec les médias canadiens, Facebook et Google ont généré en 2020 environ 280 millions de dollars en revenus publicitaires avec le contenu journalistique des médias canadiens, selon les estimations de Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.

En Australie, Google et Facebook sont en train de conclure des ententes avec les médias d’information — ou seront peut-être obligés de le faire en vertu d’un projet de loi — pour partager des revenus publicitaires générés par le contenu journalistique sur les plateformes de Google et Facebook.

Le gouvernement Trudeau a comme « objectif » le dépôt d’un projet de loi fédéral en 2021 pour faire rémunérer les médias d’information « de manière adéquate » par les géants numériques comme Facebook et Google, qui bénéficient du contenu journalistique sur leurs plateformes et peuvent ensuite vendre de la publicité sur ces plateformes.

« Nous étudions actuellement des options pour une solution adaptée au Canada qui permettrait d’aboutir à un cadre réglementaire numérique cohérent et équitable tant pour les éditeurs de presse canadiens que pour les plateformes numériques. […] Les éditeurs de nouvelles doivent être rémunérés de manière adéquate et nous les soutiendrons dans leur travail nécessaire à la santé de notre démocratie et de nos communautés », a indiqué le cabinet du ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, dans une déclaration écrite.

« Google, Facebook et d’autres sociétés numériques ont joué un rôle majeur pour rendre l’information accessible à tous, a indiqué le ministre Guilbeault. Autant nous les utilisons pour rester informés et prendre part à des conversations importantes, autant nous devons remédier au déséquilibre du marché entre les organismes de presse et ceux qui profitent de leur travail. »

Des estimations très variées

Ottawa entend donc forcer Facebook et Google à rémunérer les médias d’information pour l’utilisation des contenus journalistiques sur leurs plateformes.

Il reste à déterminer le montant.

Google estime générer des revenus de 9 millions de dollars par an avec le contenu des médias canadiens sur son moteur de recherche. Facebook ne dévoile pas cette information, mais l’entreprise a promis de consacrer 133 millions US en aide au journalisme à travers le monde. En se fiant à la proportion de l’économie canadienne par rapport aux pays du G20, on arrive à une aide d’environ 9 millions CAN pour les médias canadiens.

En Australie, les deux plus importants groupes de presse (dont News Corp, de Rupert Murdoch) ont estimé que le contenu journalistique équivalait à environ 10 % des revenus publicitaires de Facebook et Google. En se basant sur l’exemple australien (et ce seuil de 10 % des revenus), Médias d’info Canada, organisme qui représente plus d’une centaine de médias d’information écrits (dont La Presse), estime que Facebook et Google devraient retourner des revenus de 620 millions par an aux médias canadiens.

Les géants en désaccord

Facebook et Google, eux, ne sont pas d’accord. Ils estiment plutôt fournir des plateformes pour diffuser le contenu journalistique. Google estime fournir (gratuitement) 5 milliards de visites par an aux éditeurs canadiens.

« Google se préoccupe beaucoup de l’actualité au Canada et nous sommes en accord qu’il est urgent de soutenir l’industrie, a indiqué Google dans une déclaration écrite. Nous soutenons depuis longtemps les éditeurs de ce pays, qu’il s’agisse de générer un trafic comme nul autre vers les sites d’information, de créer des programmes de formation […] ou de fournir un financement directement aux journalistes par le biais de plusieurs programmes. » Google a des ententes avec 450 publications dans une douzaine de pays, dont les sites Narcity Media et Village Media au Canada.

« Facebook permet aux entreprises de choisir le public qu’elles veulent atteindre, quel que soit le contenu qu’elles regardent. Les actualités ne représentent qu’une très petite fraction de ce que les gens voient sur Facebook, et ce n’est pas une source de revenus significative pour nous », indique Kevin Chan, chef des politiques publiques de Facebook Canada, dans une déclaration écrite.

Calcul en fonction des partages

De son côté, le professeur Jean-Hugues Roy arrive plutôt avec des estimations de revenus liés au contenu journalistique de 210 millions pour Facebook et de 70 millions pour Google en 2020. De façon plus précise, il s’agit de la part de leurs revenus publicitaires qui correspond à l’importance du contenu journalistique sur leurs plateformes.

Pour arriver à ces estimations (imparfaites, précise-t-il), M. Roy a évalué un échantillon des 1,9 million de contenus (posts) les plus populaires des pages canadiennes de Facebook. Environ 20 % des contenus les plus populaires sont produits par 900 médias d’information ; ces contenus journalistiques représentent 7,3 % des interactions sur Facebook (partages, réactions, commentaires). Il a ensuite calculé cette proportion (7,3 %) sur le chiffre d’affaires canadien de Facebook (2,9 milliards). Pour Google, Jean-Hugues Roy s’est basé sur la prétention de Google que 1,5 % des recherches sur son moteur de recherche sont liées à du contenu journalistique. Il a appliqué ce taux au chiffre d’affaires canadien de Google, estimé par un groupe de recherche de l’Université Carleton à partir du chiffre d’affaires américain.

« C’est la moins mauvaise estimation qu’on peut faire, illustre Jean-Hugues Roy. Facebook est très opaque et ne donne pas accès à beaucoup d’informations. Google et Facebook sont en campagne de séduction avec des initiatives pour aider le journalisme. C’est super, mais on pourrait aller chercher davantage. Il faut un projet de loi qui va permettre aux entreprises de presse de partager les revenus. »

Facebook est en désaccord avec les estimations de Jean-Hugues Roy. « La méthodologie de ce chercheur est basée sur des hypothèses incorrectes sur le fonctionnement de nos produits publicitaires. Ses conclusions sont donc erronées », indique Kevin Chan, chef des politiques publiques de Facebook Canada, dans une déclaration écrite.