Grrr… Ottawa sort les dents contre les géants du web. Après avoir passé un mandat entier à répéter qu’il valait mieux attendre une solution mondiale concertée avec l’OCDE, voilà que les libéraux adoptent un ton plus mordant.

Assez patienté !

La COVID-19 a changé la donne. D’une part, les finances publiques sont sous pression, avec les milliards dépensés pour venir en aide aux ménages et aux entreprises. D’autre part, le confinement a accéléré la numérisation de l’économie.

Au Canada, le commerce de détail électronique a augmenté de près de 70 % au cours des huit premiers mois de l’exercice en cours. C’est le gros lot pour les multinationales qui vont chercher la part du lion, sans payer d’impôts ni prélever de taxes.

Ce faisant, elles privent le gouvernement de précieuses recettes fiscales et livrent une concurrence déloyale aux commerçants de chez nous qui sont les moteurs de la relance économique.

On a souvent entendu les patrons de Cogeco, de Fillion Électronique, de la Maison Simons et du Groupe Germain Hôtels s’en plaindre, à juste titre.

Dans son énoncé économique présenté lundi, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a donc annoncé que la taxe sur les produits et services (TPS) de 5 % s’appliquerait à partir du 1er juin 2021 sur les achats réalisés par les Canadiens auprès des géants étrangers du web.

Ottawa emboîte ainsi le pas à Québec qui avait été la première province, en 2019, à forcer les commerçants étrangers à prélever la taxe de vente du Québec (TVQ) de 9,975 %. L’offensive a d’ailleurs permis d’amasser quatre fois plus d’argent que prévu, soit 102 millions, au lieu de 28 millions, en 2019.

Un beau succès.

De son côté, Ottawa pense récolter 3,1 milliards d’ici cinq ans en obligeant les géants du web à percevoir la TPS.

On parle ici de tous les fournisseurs étrangers qui vendent des applications mobiles, des jeux vidéo en ligne ou encore des services de télévision et de la musique en continu. Vous reconnaissez Netflix ?

Le fédéral cible aussi les détaillants en ligne et les plateformes numériques qui sont situés à l’étranger, mais qui se servent d’entrepôts de distribution au Canada pour livrer rapidement aux Canadiens. On pense à Amazon, ici.

Ottawa a aussi dans sa ligne de mire les plateformes de locations d’hébergement de type Airbnb. À l’heure actuelle, ces plateformes n’assument aucune responsabilité quant à la perception de la TPS, et les propriétaires ne sont pas toujours au courant des exigences, ce qui fait en sorte que la TPS n’est pas appliquée de manière uniforme.

Évidemment, ce sont les consommateurs canadiens qui paieront la note. Mais c’est une question d’équité. Après tout, il ne s’agit pas d’une nouvelle « taxe Netflix », mais simplement de la TPS qui sera appliquée à tout le monde.

Pour faire payer davantage d’impôts aux géants du web, il faut se lever de bonne heure. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a accouché d’une proposition pour redistribuer l’assiette fiscale des sociétés numériques.

« Il est question de partager une partie du bénéfice entre les pays en proportion des ventes dans chaque pays », explique Jean-Pierre Vidal, professeur titulaire au département de sciences comptables de HEC Montréal.

Mais les États-Unis, qui abritent la plupart des grands noms du web, n’ont aucune intention de partager leur assiette fiscale avec d’autres pays. Alors, le projet de l’OCDE est bloqué.

La France voulait faire cavalier seul en instaurant une taxe « GAFAM » de 3 % sur les revenus bruts des multinationales du web. En guise de représailles, les États-Unis l’ont menacée de lui imposer des droits de douane astronomiques sur les produits français vendus sur le sol américain.

Face à ce blocage, la Commission européenne a annoncé, vendredi dernier, qu’elle allait mener ses propres travaux pour résoudre unilatéralement l’enjeu de la taxation de l’économie numérique, si l’OCDE n’arrivait pas à un consensus d’ici le mois de juin 2021.

Et voilà qu’Ottawa en rajoute.

« Le gouvernement demeure résolu à trouver une solution multilatérale, mais est préoccupé par le retard qui a été pris pour l’obtention d’un consensus », peut-on lire dans son énoncé économique.

En conséquence, Ottawa se dit prêt à imposer aux sociétés offrant des services numériques une taxe qui entrerait en vigueur le 1er janvier 2022 et qui rapporterait 3,4 milliards sur cinq ans.

Il faut décoder le message d’Ottawa comme une menace. Si les États-Unis refusent de négocier, ils pourraient se retrouver devant un front commun de plusieurs pays. Un tel bras de fer pourrait-il faire plier les Américains ou risque-t-il de provoquer une guerre commerciale mondiale ?

L’OCDE a déjà indiqué que l’imposition de taxes unilatérales sur les services numériques pourrait déclencher des représailles qui amputeraient le PIB mondial de 1 %, dans le pire des scénarios.

De telles hostilités n’aideraient certainement pas la planète à se relever de la COVID-19.