Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, tire à boulets rouges sur son concurrent Bell : M. Péladeau estime que Bell est devenu « un danger public » dans l’industrie des médias au pays. Au point où la « sauvegarde de [la] démocratie » est menacée si jamais le CRTC permet à Bell d’acheter V, rien de moins.

Québecor demande au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) de bloquer l’achat de la chaîne généraliste V par Bell. M. Péladeau estime qu’il faut refuser cette transaction et « démanteler Bell avant qu’il ne soit pas trop tard ». « À terme, il y va de vivacité et de la sauvegarde de [la] démocratie », a dit M. Péladeau.

« Il faut que le Conseil, pour le bien du Canada, intervienne pour que cesse cette funeste et extrêmement dommageable domination », dit M. Péladeau.

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Pierre Karl Péladeau

« Bell est une entreprise qui ne ressemble à aucune autre en termes de domination dans le secteur médiatique canadien mais aussi, et surtout, il n’existe aucun équivalent dans le monde occidental et démocratique. […] L’entreprise possède déjà un nombre démesuré de propriétés à travers le Canada [64 chaînes télé, 109 stations de radio, télécoms, distribution télé, salles de spectacles, équipes sportives, magasins de détail]. […] C’est plus qu’une pieuvre multitentaculaire, c’est un danger public », a dit Pierre Karl Péladeau mercredi après-midi lors des audiences publiques du CRTC sur la transaction Bell-V.

« Bell est dominante, voire même prédatrice, sur le plan national. […] Alors que son emprise sur les médias a maintenant atteint une position très largement dominante, voire prédatrice, voici que Bell veut terminer son exercice de monopolisation en acquérant V. […] Sa volonté de procéder au maximum d’acquisitions fait état de son désir profond de dominer l’industrie, de cristalliser sa volonté de reconstruire son monopole et d’éliminer ses concurrents », poursuit M. Péladeau.

Dans son allocution d’une quinzaine de minutes, M. Péladeau a aussi énuméré les nombreux litiges commerciaux entre Québecor et son rival Bell. Le grand patron de Québecor a aussi rappelé les circonstances ayant mené au départ de Kevin Crull comme grand patron de Bell Média en 2015. « Rappelons-nous, excusez-moi l’expression, “l’orwellien” épisode de 2015, à la suite de la publication de la décision “Parlons télé” du CRTC, Kevin Crull, alors président de Bell Média, a ordonné au personnel de la salle de nouvelles de CTV d’exclure le président du Conseil de l’époque, M. Jean-Pierre Blais, de la couverture médiatique de l’ensemble du réseau CTV. Est-ce vraiment ce que l’on veut pour protéger la démocratie ? », a dit M. Péladeau.

Québecor craint le fait que Bell devienne, avec V, aussi dominante dans le marché francophone qu’elle l’est actuellement dans le marché anglophone.

Bell dit être « la meilleure destination » pour V

De son côté, Bell affirme être la meilleure solution pour l’avenir à long terme de V.

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Karine Moses, présidente de Bell au Québec

« Bell Média est la meilleure destination pour les stations V. […] Nous aurons accès aux larges auditoires qu’offre la télévision traditionnelle et Bell Média pourra soutenir V financièrement, stratégiquement et sur le plan de l’exploitation. Avec cette acquisition, nous allons faire émerger un autre radiodiffuseur francophone fort et diversifié, capable de contribuer à la vitalité du paysage télévisuel québécois. Nous voulons faire entendre une autre voix et un point de vue différent en plus de renforcer notre capacité à offrir une programmation de haute qualité sur de multiples plateformes », a indiqué Karine Moses, présidente de Bell au Québec, lors de sa présentation devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui doit décider d’approuver ou non la transaction.

Bell, qui n’a pas de chaîne de télé généraliste francophone, estime que l’acquisition de V est « nécessaire pour nous permettre d’améliorer notre compétitivité, non seulement face à TVA et Radio-Canada, mais aussi face au nombre croissance de grandes entreprises américaines, telles que Netflix, Amazon, Disney et Apple, qui commencent à cibler davantage le marché de langue française », indique Mme Moses.

Propriétaire de V depuis 12 ans, Maxime Rémillard estime n’avoir eu d’autre choix de vendre à Bell Média sa chaîne généraliste, qui perd environ 3,5 millions de dollars par an. Les deux parties ont conclu une entente de vente pour 20 millions de dollars l’été dernier, mais cette entente doit être approuvée par le CRTC. Une « transaction lucide et logique », dit M. Rémillard, qui estime que la décision de vendre était la « seule [décision] possible dans les circonstances ». « L’environnement concurrentiel a changé, a-t-il indiqué devant le CRTC. Et il faut nous rendre à l’évidence. Il sera de plus en plus difficile, voire impossible, pour un groupe non intégré comme le nôtre d’exploiter une chaîne généraliste de façon rentable »

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Maxime Rémillard

Pour convaincre l’organisme réglementaire fédéral d’approuver la transaction, Bell s’engage à rapatrier les nouvelles à l’interne, à hausser la programmation de nouvelles locales (de 45 minutes à 90 minutes par jour la semaine à Montréal et Québec). Par contre, Bell ne propose pas d’investissements supplémentaires en contenu canadien dans ses conditions de licence ; V garderait essentiellement les mêmes conditions de licence.

En vertu de sa politique sur la diversité des voix, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) approuve de façon générale les transactions tant qu’une entreprise ne détient pas plus de 35 % des parts de marché. Entre 35 % et 45 % des parts de marché, le CRTC peut approuver la transaction, mais seulement après un examen approfondi. Dans ce cas-ci, l’achat de V par Bell ne semble pas poser problème : Bell aurait des parts d’écoute de 22 % en télé francophone avec l’achat de V, comparativement à 37 % pour le Groupe TVA/Québecor (selon les données fournies par Bell).

Le débat ne se limitera visiblement pas à une question de calculs de parts de marché. Durant les deux jours d’audiences du CRTC à Montréal, on parlera aussi beaucoup de concurrence, a prévenu Caroline Simard, vice-présidente de la radiodiffusion au CRTC en début d’audience. « Soyons clairs : le Conseil est fort conscient du contexte particulier des demandes devant nous aujourd’hui, a dit Mme Simard. Nous porterons une attention particulière aux impacts potentiels de cette transaction sur le paysage télévisuel de langue française. »