(Québec) Le groupe de presse Québecor souhaite toujours acquérir les six quotidiens du Groupe Capitales Médias (GCM) qui sont au bord de la faillite.

Le président de Québecor, Pierre Karl Péladeau, soutient que son empire de presse serait la meilleure chose qui pourrait arriver aux six quotidiens régionaux menacés de disparaître.

« Nous sommes bien placés. Nous sommes probablement les mieux placés » pour assurer la survie de ces médias, a commenté M. Péladeau, mercredi, en mêlée de presse, en marge de sa présence devant la commission parlementaire qui se penche sur l’avenir des médias.

Québecor a déjà essuyé un refus, après avoir déposé une première proposition d’acquisition, mais ne s’avoue pas vaincu.

« Nous avons l’intention d’être en relation avec le syndic » chargé de trouver un acquéreur, a-t-il confirmé, faisant valoir que son groupe de presse pouvait offrir aux journaux en difficulté toute la « logistique industrielle » pouvant assurer leur relance (réseau de distribution, imprimerie, l’agence de presse QMI et « la force commerciale » de Québecor).

Le syndic a pour objectif de trouver un nouvel acquéreur avant la fin de l’année. Le gouvernement a accepté de verser une aide d’urgence de 5 millions pour l’aider à tenir le coup jusque-là.

Au moment de déposer son offre, M. Péladeau ignorait alors que l’éventuel acquéreur devrait composer avec un lourd déficit actuariel du régime de retraite des employés, qui atteint pas moins de 65 millions.

Malgré cela, il a dit toujours souhaiter se porter acquéreur des six quotidiens, ajoutant qu’il ne serait pas surpris d’apprendre que la transaction cache d’autres mauvaises surprises.

« Ce ne serait pas étonnant », selon lui, compte tenu du lourd dossier financier de l’entreprise.

Québecor possède déjà deux quotidiens, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, en plus de TVA, LCN et QUB radio. La concentration de la presse serait portée à un niveau plus élevé, que d’aucuns jugeraient inacceptable, si l’entreprise de M. Péladeau ajoutait six quotidiens à son empire.

À cela, M. Péladeau réplique qu’il s’agit d’un « faux problème ».

« Il vaut mieux une concentration de la presse que pas de presse du tout », a-t-il dit.

Contrairement à la plupart des intervenants venus défiler en commission parlementaire, M. Péladeau désapprouve l’idée d’une aide financière provenant du gouvernement pour les médias en difficulté.

La Presse : aide réclamée

Au contraire, la direction de La Presse+ est venue réclamer l’aide de l’État pour les médias.

Selon son président, Pierre-Elliott Levasseur, si le quotidien montréalais n’obtient pas une aide financière « structurante » de la part du gouvernement, c’est « la pérennité » de La Presse+ qui est menacée.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, PC

Pierre-Elliott Levasseur (à droite) et Guy Crevier, lors de leur intervention à la commission.

Comme d’autres intervenants, il a convenu que « le modèle d’affaires des médias devait être complètement repensé ».

Il y a quelques années, La Presse+ a innové en abandonnant le papier et en offrant son contenu gratuitement sur une tablette. Elle s’est aussi transformée en organisme à but non lucratif. La direction maintient que c’était la bonne voie à suivre.

Les maires interviennent

Trois maires de villes québécoises directement affectées par la crise des médias sont venus plaider pour que les gouvernements déploient de toute urgence des moyens d’action destinés à sauver la presse régionale.

Les maires de Saguenay, Josée Néron, de Trois-Rivières, Jean Lamarche, et de Sherbrooke, Steve Lussier, ont joint leur voix pour revendiquer un système de taxation des géants du web, afin de renflouer les coffres des médias, aux prises avec de graves difficultés financières.

Le Quotidien de Saguenay, Le Nouvelliste de Trois-Rivières et La Tribune de Sherbrooke font partie des six quotidiens du Groupe Capitales Médias (GCM), qui lutte présentement pour éviter la faillite en attendant qu’un éventuel acquéreur relance l’entreprise. Les trois autres sont Le Soleil de Québec, La Voix de l’Est de Granby et Le Droit d’Ottawa-Gatineau.

« Portez vos culottes et agissez ! », a lancé en mêlée de presse la mairesse de Saguenay, Josée Néron, qualifiant d’« essentielle » la présence d’une presse régionale forte.

Selon les maires présents, « les gouvernements vont devoir réellement analyser la possibilité de taxer » les géants américains du web connus sous l’acronyme GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), a indiqué Mme Néron.

Ces plateformes numériques accaparent sans cesse davantage les revenus publicitaires autrefois réservés aux médias, et ce, sans verser un sou à aucun producteur de contenu.

La possibilité de voir Québecor acquérir ces quotidiens régionaux n’a pas semblé plaire aux trois maires présents, soucieux de préserver la diversité de l’information et d’échapper à une concentration encore plus grande de la presse au Québec. Car il importe de conserver une presse régionale « la plus régionale possible », selon le maire de Sherbrooke, Steve Lussier.

GCM : crédit d’impôt

Pour mieux soutenir financièrement les médias, l’État devrait intervenir de diverses façons, selon le président de GCM, Claude Gagnon. Dans son mémoire, il a revendiqué la création d’un crédit d’impôt remboursable sur l’ensemble de la masse salariale.

La direction du quotidien Le Devoir et celle de La Presse+ partagent cet avis.

Le groupe GCM demande de plus à Québec d’éliminer « de façon permanente » la contribution des entreprises de presse à l’industrie du recyclage du papier.

Québec devrait aussi augmenter ses investissements publicitaires dans les journaux, selon le vœu de M. Gagnon, qui verrait aussi d’un bon œil la création d’une Régie publicitaire provinciale.

La porte-parole en culture et communications de l’opposition libérale, la députée Isabelle Melançon, a demandé à la ministre de la Culture, Nathalie Roy, d’émettre dès maintenant une directive destinée à hausser de 75 % le budget publicitaire de l’État consacré aux médias traditionnels.

Le gouvernement a un devoir d’exemplarité en ce domaine, a commenté Mme Melançon, en point de presse.

L’an dernier, le gouvernement a dépensé 3,7 millions en publicité sur les plateformes des géants du web, au détriment des médias traditionnels, nationaux et régionaux.

Le Devoir souhaiterait que par décret le gouvernement limite à 5 % de son budget publicitaire annuel, la part des placements faits dans des entreprises étrangères.

La commission sur l’avenir des médias entendra au total 36 intervenants d’ici vendredi. De plus, elle a reçu 62 mémoires de gens, entreprises et organismes préoccupés par le sujet.

La commission s’en va en région

La commission parlementaire sur l’avenir des médias se déplacera bientôt à Matane et à Rouyn-Noranda pour entendre des hebdos et des radio-télé diffuseurs locaux.

À la suggestion du Parti québécois, la commission a accepté in extremis de devenir itinérante pour tenter de mieux comprendre la réalité des médias en région.

Les membres de la commission se sont entendus mercredi pour visiter Matane, point de chute pour la Gaspésie, le Bas-Saint-Laurent et les Îles-de-la-Madeleine, ainsi que Rouyn-Noranda pour l’Abitibi-Témiscamingue.

Ils passeront au moins une journée dans chacune de ces deux villes, selon le nombre d’intervenants qui souhaitent prendre la parole.

Question de logistique, la commission ne pourra vraisemblablement pas se déplacer en région avant la mi-septembre. La date exacte reste encore à déterminer.

La commission sur l’avenir des médias s’est ouverte lundi dernier à l’Assemblée nationale. Elle entendra au total 36 intervenants d’ici vendredi. De plus, elle a reçu 62 mémoires de citoyens, entreprises et organismes préoccupés par le sujet.

Selon un rapport du Forum des politiques publiques du Canada, pas moins de 225 hebdomadaires et 27 quotidiens ont fermé leurs portes, à travers le pays, depuis 2010.

Depuis quelques jours, la commission est sensibilisée à l’importance des médias en région pour assurer la vitalité des communautés.

Plusieurs groupes ont d’ailleurs invité le gouvernement à réfléchir à la façon dont il gère ses budgets publicitaires. On souhaite qu’il privilégie les médias traditionnels, qui ont vu leur échapper au fil des ans une importante source de revenus au profit des géants du web.

Les ministères et organismes gouvernementaux doivent en principe consacrer au moins 4 % de leurs dépenses annuelles en placements publicitaires auprès des médias communautaires.

Le gouvernement Legault a promis de s’inspirer des travaux de la commission pour concocter dès cet automne un programme d’aide financière destiné aux médias.