(Montréal) Les Canadiens ont une confiance et une satisfaction relativement robustes face à leurs médias d’information lorsqu’on les compare avec les consommateurs d’information des autres pays semblables, mais ils ne sont guère enclins à payer pour cette information et ils en vérifient la source davantage qu’on pourrait le croire.

Ce sont là les grandes tendances qui se dégagent du Digital News Report 2019 (DNR), l’enquête réalisée annuellement dans 38 pays par le Reuters Institute for the Study of Journalism de l’université Oxford, au Royaume-Uni.

En termes de confiance, un peu plus de la moitié des Canadiens (52 %) disent faire confiance à « la plupart des informations, la plupart du temps », comparativement à 42 % pour l’ensemble des pays sondés et à seulement 24 % en France et à 32 % aux États-Unis. Bien que ce pourcentage soit en baisse par rapport à 2018, les chercheurs soulignent que ces fluctuations suivent de façon assez constante l’existence de controverses dans les pays sondés. Or, au Canada, celles-ci ont été abondantes durant la période de sondage, en janvier et en février derniers, notamment avec l’affaire SNC-Lavalin, qui a placé le gouvernement Trudeau sur la sellette durant plusieurs semaines.

Fausses nouvelles : « comportements prudents »

Pour la première fois, le DNR a cherché à vérifier si la préoccupation déjà connue des citoyens face aux fausses nouvelles se traduisait par des comportements conséquents et les résultats sont étonnamment encourageants pour le Canada. Si l’on constate que 61 % des Canadiens sont préoccupés par le phénomène des fausses nouvelles — un chiffre assez stable — on y apprend surtout pour la première fois que pas moins de 7 Canadiens sur 10 (76 % chez les moins de 35 ans) ont dit avoir adopté au cours de la dernière année au moins un des six « comportements prudents » suggérés par les sondeurs en matière de vérification.

« Je pense qu’il y a une prise de conscience et un peu plus de vigilance », souligne Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval et responsable du volet canadien de l’enquête.

« C’est rassurant et c’est encourageant parce que ça montre que les gens sont en train de se prendre en mains en tant que citoyens. Ça montre que les gens constatent qu’on ne peut pas se fier à tout ce qu’on consomme dans l’environnement numérique et donc qu’on doit être un peu proactifs. »

Ces comportements sont, dans l’ordre de leur usage par les répondants, de consulter des sources différentes pour vérifier une information, de se fier davantage aux sources réputées, de ne pas partager une information sur laquelle ils avaient des doutes, de discuter d’une information avec quelqu’un de confiance, de ne plus prêter attention aux informations d’une personne en qui on n’a pas confiance et de cesser d’utiliser certaines sources en raison d’un manque de confiance.

Une confiance difficile à monnayer

Cette préoccupation est aussi reflétée par le fait que, contrairement aux nouvelles provenant de sources d’information traditionnelles connues, les nouvelles trouvées par l’entremise des médias sociaux ou des moteurs de recherche ne recueillent la confiance, respectivement, que de 20 et 35 % des répondants canadiens. Paradoxalement, l’usage du réseau social Facebook pour s’informer demeure malgré tout prévalent chez les Canadiens et était même en hausse, passant de 38 % en 2018 à 40 % en 2019.

Quant à la qualité de l’information, 60 % des répondants estiment que les médias les « aident à comprendre les actualités », ce qui octroie aux médias canadiens le score d’appréciation le plus élevé parmi l’ensemble des pays participants à l’enquête.

Pourtant, malgré ces données encourageantes, moins d’un répondant sur 10 (9 %) a payé pour de l’information en ligne, une proportion qui est le double chez les hommes (12 %) par rapport aux femmes (6 %). L’enquête démontre d’ailleurs très clairement que les Canadiens considèrent massivement l’information comme une denrée gratuite puisque s’ils devaient choisir un seul service d’abonnement payant en ligne pour la prochaine année, 40 % choisiraient un service de diffusion de vidéos en ligne comme Netflix, 10 % prioriseraient un service de diffusion de musique comme Spotify plutôt qu’un abonnement à des nouvelles en ligne (9 %), une proportion qui chute à 4 % chez les 18-34 ans.

« Les gens qui vont s’abonner sont des gens qui ont conscience que l’information a une valeur et que ça se paye », estime Colette Brin, ajoutant que l’offre gratuite est tellement abondante qu’il est difficile d’en voir la justification pour plusieurs.

Dénoncer les coquins

En général, les différences entre les francophones et les anglophones ne sont guère significatives dans l’enquête, à l’exception d’une donnée qui ramène aux propos du fondateur du Devoir, Henri Bourassa, qui avait promis que son quotidien « appuiera les honnêtes gens et dénoncera les coquins » : lorsqu’on demande aux Canadiens si les médias font un bon travail pour surveiller les puissants, les francophones estiment que oui à 62 %, comparativement à seulement 47 % chez les anglophones.

Mme Brin n’écarte pas la possibilité que la création du Bureau d’enquête de Québecor et la pression créée sur les autres médias par cette présence ait eu un effet bénéfique sur l’ensemble de l’industrie et, par extension, sur la perception du public : « Ça m’apparaît plausible ; le Bureau d’enquête de QMI, du Journal (de Montréal et de Québec), ç’a eu un effet très positif sur les autres médias », fait-elle valoir.

Ce n’est toutefois pas la seule raison, précise-t-elle : « De manière générale, c’est sûr qu’il y a toujours eu une plus forte couverture des institutions politiques et démocratiques au Québec que dans les autres provinces, mais le cas du Bureau d’enquête et l’effet d’entraînement sur les autres médias, ça vient accentuer cette tendance et ça semble se ressentir dans l’opinion. »

Le texte plutôt que la vidéo pour l’info

Quelques autres faits intéressants de l’enquête ; on y apprend par exemple que les Canadiens préfèrent — et de loin — lire des textes pour s’informer plutôt que de regarder des vidéos ; que l’usage du téléphone intelligent pour les nouvelles est toujours en hausse et s’approche de l’ordinateur qui, lui, est en baisse, alors que les tablettes tendent à plafonner depuis quelques années.

Cependant, les nouvelles n’offrent pas qu’un attrait, bien au contraire, puisque plus de la moitié des répondants admettent qu’ils font exprès pour éviter l’actualité souvent (7 %), parfois (22 %) ou occasionnellement (29 %) et plus d’un Canadien sur quatre (28 %) rapporte être « découragé par la quantité d’informations qui circule aujourd’hui ».

Le volet canadien du Digital News Report est sous la responsabilité du Centre d’études sur les médias (CEM). Au Canada, le questionnaire en ligne a été soumis à 2055 participants du 17 janvier au 18 février. Le sous-échantillon francophone a été complété jusqu’au 27 février 2019 et comporte 1001 répondants. L’enquête est susceptible de sous-représenter les segments de la population canadienne qui n’ont pas accès à Internet, notamment des personnes âgées, peu scolarisées et celles qui ont un faible revenu.