L’idée de créer une coopérative d’employés pour assurer l’avenir des journaux de Groupe Capitales Médias fait du chemin. Les cadres de l’entreprise se sont joints, hier, au projet de coopérative à l’étude par les employés syndiqués.

« Les cadres et les employés non syndiqués du Groupe Capitales Médias ont demandé à la CSN d’avoir une place à la table avec eux pour discuter de cette option de coopérative, car nous avons une certaine connaissance du dossier. L’accueil de la CSN a été extrêmement positif. Je salue l’accueil qu’on a reçu. Les gens sont très clairement préoccupés par la pérennité de nos journaux et par la protection des emplois », dit Pierre-Paul Noreau, président et éditeur du quotidien Le Droit, en Outaouais.

« Les cadres sont des employés et ils font partie de la solution. C’est une excellente nouvelle de voir que tous les joueurs à l’emploi du Groupe Capitales Médias ont en tête de participer à la relance », dit Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), le syndicat qui représente les employés de cinq des six journaux de Groupe Capitales Médias.

Options à l’étude

Depuis la semaine dernière, les employés des journaux de Groupe Capitales Médias étudient avec leur syndicat (la FNC-CSN) la possibilité de fonder une coopérative d’employés qui serait en partie propriétaire des journaux. La FNC-CSN a mandaté la firme MEC Conseil pour étudier toutes les options de coopérative possibles.

Toutes les options sont sur la table pour l’instant. Sauf une : les employés ne seront pas propriétaires à 100 % des journaux. Il faudra ajouter d’autres partenaires financiers, que ce soient des propriétaires-investisseurs et d’autres institutions qui seraient aussi membres de la coopérative.

« Le fardeau et le risque ne pourront pas être pris à 100 % par les employés. Ce serait insoutenable », dit Pascale St-Onge, du syndicat FNC-CSN, qui rencontrera bientôt les chambres de commerce pour présenter le projet de coopérative.

Les employés prendront connaissance du rapport de la firme MEC Conseil avant de décider s’ils proposent de fonder une coopérative – ou plusieurs coopératives, soit une par journal.

Groupe Capitales Médias, qui compte environ 350 employés permanents, s’est placé à l’abri de ses créanciers il y a deux semaines. Le gouvernement du Québec a injecté une aide d’urgence de 5 millions de dollars afin que les six journaux (Le Soleil à Québec, Le Droit en Outaouais, Le Nouvelliste à Trois-Rivières, La Tribune à Sherbrooke, Le Quotidien au Saguenay–Lac-Saint-Jean et La Voix de l’Est à Granby) puissent continuer leurs activités à court terme cet automne. Une solution à long terme doit toutefois être trouvée – et approuvée par la Cour supérieure du Québec puisque l’entreprise est au bord de la faillite.

L’ombre de Québecor

Québecor, qui possède déjà les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, a démontré de l’intérêt. Si Québecor achetait les journaux de Groupe Capitales Médias, l’entreprise posséderait 9 des 12 quotidiens francophones au Québec. Une hypothèse qui inquiète plusieurs employés syndiqués des journaux de Groupe Capitales Médias, selon les témoignages reçus hier. 

« Je ne conteste pas ça [l’inquiétude des employés] », dit Pierre-Paul Noreau, président et éditeur du Droit. « Ça fait peur à plusieurs employés ici. On est tous concernés par la concentration de la presse », dit Louis-Éric Allard, directeur de l’information de La Tribune et membre du comité pour la relance du quotidien.

La question se pose encore plus pour les employés du Soleil à Québec, une ville où Québecor possède déjà Le Journal de Québec. « On ne veut pas prêter d’intentions à Québecor. On est dans une démarche où chacun fait valoir ses vues. Sans avoir peur de Québecor, ça soulève des questions à savoir comment un même propriétaire de presse peut maintenir en opération deux quotidiens qui sont naturellement en concurrence. Pour l’instant, on n’a pas de réponse », dit Jean-François Néron, président du syndicat des employés du Soleil.

Un dénouement cet automne ?

Les employés devront prendre une décision rapidement : l’aide d’urgence de 5 millions de Québec à Groupe Capitales Médias devrait être écoulée d’ici novembre ou décembre.

La prochaine étape du projet de coopérative : consulter les états financiers détaillés de Groupe Capitales Médias. Les employés les verront probablement au même moment que les acheteurs potentiels, dans quelques semaines. Ils sauront alors si le plan d’affaires d’une coopérative avec des partenaires est viable sur le plan économique.

On croit à la formule qu’on propose. On pense que c’est un mouvement qui est en train de naître un peu partout. Le principe d’une coopérative, c’est que les artisans d’un journal se réapproprient la destinée de leur média.

Jean-François Néron, président du syndicat des employés du Soleil

À La Tribune de Sherbrooke, le projet de coopérative interpelle déjà le milieu d’affaires estrien. Vendredi dernier, 25 leaders de la région ont offert leur appui au quotidien. Des gens d’affaires ont offert de doubler leur budget de publicité, d’autres, d’investir dans une coopérative. « On veut que le journal reste parce qu’il est important pour nous », affirme Louise Bourgault, vice-présidente et directrice générale de la Chambre de commerce et industrie de Sherbrooke.

« Il y a une mobilisation des employés et des gens de la communauté », dit Louis-Éric Allard, directeur de l’information de La Tribune et membre du comité de relance. « Au-delà de nos emplois, c’est la question de l’importance de l’information locale qui est en jeu », dit la journaliste Isabelle Pion, membre du comité de relance du quotidien. Les employés de La Tribune sont représentés par le syndicat Unifor, mais ils prendront part aussi à la démarche chapeautée par la CSN.

Renaud Gagné, directeur québécois d’Unifor, estime que la coopérative est « un élément de solution parmi d’autres ». Selon lui, il faut une combinaison de mesures pour que ça fonctionne. 

« Si on répète le même modèle d’affaires, je ne sais pas comment on va y arriver », dit-il. Il lui semble aussi essentiel que les six journaux régionaux demeurent dans la même structure. « On travaille pour garder une entité », a-t-il affirmé. 

Quant à une éventuelle reprise par Québecor, ce serait « la dernière avenue », croit-il, jugeant qu’il faut garder une diversité et éviter une « montréalisation ou une québécisation » de l’information régionale.

— Avec Janie Gosselin, La Presse