Incapables de s’entendre malgré le travail de conciliation d’un juge de la Cour supérieure, Bell et Québecor ont écarté hier la trêve offerte en début d’après-midi par Québecor, qui aurait permis de rétablir le signal de TVA Sports aux abonnés de Bell.

Quelques heures après que Québecor eut exécuté sa menace de bloquer l’accès à TVA Sports pour les abonnés de Bell, cette dernière a présenté hier matin une demande d’injonction exigeant que Québecor rétablisse le signal de TVA Sports et cesse ses « représentations fausses et trompeuses » à son endroit.

Convoqués devant le juge en après-midi pour en débattre, les avocats de Québecor ont d’entrée de jeu proposé une trêve : l’entreprise rétablirait le signal à 18 h, à condition que Bell participe à une séance de médiation intensive de quatre jours, devant le CRTC, à compter de lundi prochain.

Acceptant l’idée d’une médiation, Bell exigeait toutefois le retrait durant la médiation des publicités négatives à son endroit et que les engagements de Québecor soient consignés dans une ordonnance rendue par le juge.

« De la part de Bell, il y a une rupture totale de confiance envers Québecor. [...] On veut un jugement. Si mes confrères ont l’intention de respecter leurs engagements, quel est le problème avec un jugement ? »

— Robert Torralbo, avocat de Bell

Les avocats de Québecor refusant cette dernière condition, les négociations ont avorté. Interrogé à la sortie de la salle d’audience sur les raisons de ce refus, le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a évité la question, préférant blâmer Bell.

« Vous avez vu la fin de non-recevoir de Bell, je trouve ça déplorable. On souhaite négocier de bonne foi et nous avons devant nous une organisation qui, à toute proposition, témoigne de son refus. C’est l’attitude que nous avons rencontrée de façon systématique pendant toutes nos négociations. »

Les deux parties se retrouveront donc devant le tribunal ce matin, pour discuter du fond de la demande d’injonction de Bell.

TVA convoquée par le CRTC

Par ailleurs, TVA a été convoquée mercredi prochain dans les locaux du CRTC à Gatineau.

L’organisme tiendra une audience « afin de déterminer si Groupe TVA inc. (TVA) contrevient ou a contrevenu à l’article 15 (1) du Règlement sur les services facultatifs en retirant le signal de TVA Sports de la distribution par Bell Canada et ses entreprises affiliées, ou en interférant avec le signal de manière à empêcher les consommateurs canadiens de visionner le service ».

TVA devra y « démontrer […] les raisons pour lesquelles le Conseil ne devrait pas suspendre la licence de radiodiffusion ».

Compte tenu du sérieux de la situation, écrit le CRTC, TVA devra être représentée par ses dirigeants.

Une porte-parole de l’organisme a indiqué qu’il appartenait à l’entreprise de déterminer qui seraient ces dirigeants.

Deux nouveaux fronts de bataille

PHOTO NOAH K. MURRAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bell court-circuitera TVA Sports en présentant les trois prochains matchs de l’Impact sur sa chaîne anglophone TSN.

Loin de s’atténuer, la guerre entre Québecor et Bell s’est ouverte sur deux nouveaux fronts. D’un côté, Vidéotron accuse RDS de concurrence déloyale, tandis que de l’autre, Bell court-circuitera TVA Sports en présentant les trois prochains matchs de l’Impact sur sa chaîne anglophone TSN.

Dans une demande d’injonction déposée hier matin, quelques minutes après celle de Bell, Vidéotron montre du doigt une nouvelle offre des services RDS Direct et TSN Direct, propriété de Bell.

Ces services permettent à leurs abonnés de regarder les chaînes télé de RDS et de TSN sur l’internet, sans abonnement à un service télé. Le 4 mars dernier, ces services ont introduit une nouvelle offre permettant de s’abonner pour un jour seulement, au prix de 4,99 $.

Selon Vidéotron, il s’agit là de concurrence déloyale, puisqu’elle-même est forcée de demander aux clients qui souhaitent s’abonner à RDS ou à TSN de le faire pour un minimum d’un mois complet. Elle demande donc au tribunal de forcer Bell à retirer l’offre d’accès pour une journée.

L’Impact à TSN

De son côté, Bell a annoncé en après-midi que TSN diffusera les trois prochains matchs de l’Impact de Montréal, retirant ainsi une carte dans le jeu de sa rivale.

Les matchs de l’Impact sont les seuls évènements sportifs majeurs dont les amateurs de sports abonnés de Bell risquaient d’être totalement privés en raison du blocage imposé par Québecor.

Mercredi, Bell avait déjà annoncé qu’elle rendait le réseau Sportsnet accessible gratuitement à ses abonnés touchés, leur donnant ainsi accès aux matchs des séries éliminatoires de la LNH, l’autre grande propriété sportive exclusive de TVA Sports.

TSN détient les droits sur la diffusion anglophone des matchs « nationaux » de l’Impact de Montréal, achetés auprès de la ligue, la MLS. La diffusion du match du 24 avril était déjà au programme. L’entreprise a ajouté celle des matchs de samedi prochain et du 20 avril.

Le Bureau de la concurrence enquête sur Bell

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Il y a une multitude de façons par lesquelles les consommateurs sont trompés par Bell et ses représentants », a indiqué l’agente du Bureau de la concurrence Josée Pilotte dans une déclaration sous serment citée par le Globe and Mail.

Le Bureau de la concurrence a obtenu hier une ordonnance judiciaire pour pousser plus loin une enquête qu’il mène depuis plusieurs mois sur des pratiques commerciales de Bell Canada.

« Le Bureau examine des indications potentiellement fausses ou trompeuses données dans le cadre de la promotion des services résidentiels de Bell, notamment la téléphonie résidentielle et les services internet et télévisés vendus séparément ou par forfait », a indiqué par courriel Jayme Albert, conseiller principal en communications, Direction des affaires publiques et de la sensibilisation du Bureau. Les marchés concernés sont le Québec, l’Ontario et les Maritimes.

« L’enquête a révélé qu’il y a une multitude de façons par lesquelles les consommateurs sont trompés par Bell et ses représentants, a indiqué l’agente du Bureau de la concurrence Josée Pilotte dans une déclaration sous serment citée par le Globe and Mail

« On leur a fait croire que les services étaient peu chers ou qu’on leur présentait une promotion. »

— Josée Pilotte, citée par le Globe and Mail

Selon Mme Pilotte, on a fait croire à la future clientèle que des prix seraient fixes, même au bout d’une période promotionnelle annoncée et après un contact avec l’entreprise pour geler les tarifs. Or, ces promesses contrediraient la politique de Bell qui se donne le droit de modifier ses prix n’importe quand, toujours selon la déclaration sous serment de Mme Pilotte.

Divulgation des plaintes

La demande d’ordonnance du Bureau a été déposée il y a deux semaines à la Cour fédérale. Elle exige que la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST), un organisme national indépendant du Canada chargé de résoudre les plaintes des consommateurs relativement aux services de télécommunications, produise des copies des plaintes formulées par les consommateurs, entre autres. La CPRST estimait qu’elle ne pouvait divulguer volontairement ces informations d’ordre confidentiel.

« Pour le Bureau, il est prioritaire que les publicités et les pratiques de vente reposent sur la vérité, et nous n’hésiterons pas à prendre les mesures qui s’imposent lorsqu’il existe des preuves d’une infraction à la Loi sur la concurrence », lit-on dans un communiqué publié par l’organisme hier.

À la suite d’une demande d’entrevue par La Presse, une porte-parole de Bell nous a écrit : « Nous sommes au courant du processus du Bureau de la concurrence et travaillerons avec eux. »