D’un point de vue économique, le ciel de 2023 est rempli de nuages noirs. Mais après la pluie vient le beau temps, dit l’adage, et l’équipe de La Presse Affaires s’est efforcée de regarder au-delà de ces nuages pour trouver les éclaircies. Aujourd’hui : la Bourse

La crainte

Après une année 2022 difficile sur les marchés, les investisseurs ne sont pas à l’abri d’une deuxième année négative consécutive. Les multiples d’évaluation ne semblent pas intégrer pleinement le risque de récession alors que les probabilités de voir l’économie plonger en récession sont « énormes », souligne le gestionnaire de portefeuille Daniel Ouellet, du Groupe Ouellet Bolduc, un des plus importants gestionnaires d’actifs chez Desjardins Gestion de patrimoine. Cet expert perçoit des similitudes avec ce qui s’est passé au tournant des années 2000. « L’histoire n’est jamais identique, mais elle se répète souvent. » Il rappelle que 2001 avait été la deuxième année négative consécutive après l’éclatement de la bulle techno. « L’année 2023 semble vouloir ressembler pas mal à 2001. »

L’angle positif ou réaliste

Le stratège Sébastien Mc Mahon s’attend à une année en deux temps et invite à la prudence en première moitié d’année. « Si on trouve le creux ultime de ce marché baissier, ça serait en première moitié d’année. On pourra ensuite investir avec un peu moins d’inquiétude. Les occasions vont venir et c’est pourquoi il est important d’être investi en 2023, car éventuellement, il y aura un rebond à ne pas manquer. »

Cet économiste principal et gestionnaire de portefeuille à l’Industrielle Alliance, Gestion de placements, estime les risques de récession à 70-80 %. « La bonne nouvelle est que les marchés en intègrent déjà un bout. »

Après le creux de la mi-octobre, il considère que le marché boursier américain demeure dans le sixième rebond de ce marché baissier. L’histoire suggère qu’il y a, en moyenne, entre 8 et 10 rallyes avant de trouver le creux ultime de tout marché baissier, rappelle-t-il.

Les probabilités que le creux touché en octobre soit le creux du cycle actuel sont effectivement faibles alors que la récession s’en vient, admet le gestionnaire de portefeuille Daniel Ouellet. Le marché risque donc de toucher en 2023 un niveau inférieur au creux de l’automne.

« En même temps, il y a un paquet de vraies bonnes entreprises qui s’échangent à des multiples d’évaluation raisonnables. Il y a de la qualité à prix raisonnable, mais le contexte macro risque de l’emporter », dit Daniel Ouellet.

Il se prépare donc en ayant plus de liquidités en encaisse qu’à l’habitude et en faisant un choix sectoriel plus défensif. Il recommande donc de se concentrer sur des titres de qualité et d’éviter les entreprises trop endettées. Il hésite à nommer des titres, mais dit notamment éviter des titres comme le croisiériste Carnival ou le transporteur aérien Air Canada, par exemple.

Si le recul boursier a un bon côté, c’est qu’il ramène les évaluations à des niveaux plus attrayants, notamment dans le secteur techno.

Mais penser que c’est la techno qui volera la vedette dans les 5 à 10 prochaines années est une erreur. Ce n’est pas un secteur à privilégier en forte pondération. Surtout pas en 2023.

Daniel Ouellet, gestionnaire de portefeuille au Groupe Ouellet Bolduc

Les technos risquent donc de se faire bouder pendant un moment encore. « Il faut baisser nos attentes envers la techno », lance Sébastien Mc Mahon. Choisir les bons titres peut être payant, mais choisir le secteur des technos comme cheval de bataille pour tenter de mieux faire que le marché est risqué, selon lui.

« Les bénéfices des entreprises seront mis à l’épreuve en 2023, mais dans un scénario optimiste, les profits s’en tireront bien dans une récession pas trop profonde », croit Daniel Ouellet. Il voit toutefois difficilement comment les profits pourront augmenter de façon significative en 2023.

Le marché boursier renferme donc actuellement peu de potentiel haussier par rapport à son niveau actuel, selon lui.

L’effet réel des récentes hausses de taux sur l’économie (ralentissement du marché immobilier et perte d’effet de richesse en Bourse) ne se fait pas encore vraiment sentir, souligne Daniel Ouellet. « Ça s’en vient en 2023. C’est probablement une des récessions les plus télégraphiées de l’histoire. Mais ce n’est pas parce qu’elle est télégraphiée qu’elle est intégrée par les marchés », prévient-il.

Le marché est donc loin d’intégrer un scénario de recul des bénéfices plutôt probable. « Dans un contexte de récession, les probabilités que les entreprises s’en tirent comme si de rien n’était sont assez faibles », dit Daniel Ouellet.

Le secteur de l’énergie est encore intéressant aux yeux de Sébastien Mc Mahon même s’il a connu une bonne année en 2022.

Le secteur de l’énergie n’est pas cher et les perspectives sont très bonnes pour les prochaines années pour le prix du pétrole et donc pour la rentabilité des entreprises.

Sébastien Mc Mahon, économiste principal et gestionnaire de portefeuille à l’Industrielle Alliance, Gestion de placements

Il pense aussi qu’il est préférable de s’éloigner du marché américain. « En récession, le marché américain a tendance à se négocier aux alentours de 13 fois les profits alors qu’il se négocie toujours à 17 fois les profits. Les attentes envers les profits des entreprises américaines demeurent très élevées pour 2023 et on s’attend à ce que ce soit révisé à la baisse. »

La clé pour les marchés, selon lui, sera le pivot éventuel des banques centrales, c’est-à-dire le moment où le taux directeur commencera à baisser. Ce pivot éventuel est encore loin, dit-il, et probablement une histoire pour 2024, ce que pense aussi Daniel Ouellet.