De passage à Montréal jeudi, la gestionnaire américaine vedette et grande fervente des titres technologiques Cathie Wood a dit que le marché boursier envoyait actuellement un signal « très fort » à la Fed : ses hausses de taux sont trop fermes.

La fondatrice et PDG d’Ark Invest, société d’investissement de Floride offrant une dizaine de fonds négociés en Bourse, juge « très agressifs » les propos tenus par la Réserve fédérale américaine (Fed) cette semaine en haussant ses taux directeurs de trois quarts de point.

La Fed est en retard avec ses hausses de taux, selon elle, et fera une autre erreur en continuant de les hausser. « C’est ce que le marché boursier nous dit et c’est pourquoi il est en baisse », a-t-elle dit jeudi durant la Soirée des prévisions annuelle organisée par CFA Montréal.

Cathie Wood a notamment souligné que le prix des couvertures de défaillance (credit default swaps) — sorte de police d’assurance contre les risques de non-paiement d’une dette d’une entreprise — montait en flèche actuellement.

Le risque de défaut de sociétés financières augmente alors que la Fed tente de ralentir l’économie, a-t-elle expliqué, laissant entendre que si des financières devaient tomber, l’économie pourrait plonger dans une profonde récession.

La Fed ne se préoccupe que de l’inflation, un indicateur économique tardif [lagging indicator], et c’est plutôt malheureux.

Cathie Wood, fondatrice et PDG d’Ark Invest

Elle se dit stupéfaite et croit que la Fed fera volte-face et réévaluera la situation si le taux de chômage monte aussi rapidement qu’elle le pense.

Aidée par une forte couverture médiatique et une présence très active sur Twitter, où elle a 1,4 million d’abonnés, Cathie Wood a été élevée au rang de gestionnaire étoile durant la pandémie avec la popularité des titres technologiques.

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La soirée à laquelle participaient Cathie Wood et Ben Inker était animée par Vincent Delisle, de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

L’actif sous gestion de son fonds Ark Innovation — produit phare de la firme qu’elle dirige — s’élevait à plus de 12 milliards US au début d’avril. Zoom, Tesla, Roku et Bloc (Square) comptent parmi les principales positions de ce fonds.

Après avoir enregistré un impressionnant rendement supérieur à 150 % en 2020, le titre du fonds Ark Innovation a perdu environ 70 % de sa valeur depuis son sommet de l’été dernier, alors que les investisseurs tournent le dos aux titres de croissance, notamment ceux de technologies, dans le contexte inflationniste actuel entraînant la montée des taux d’intérêt. Ayant quadruplé sa valeur pendant la pandémie, le titre d’Ark Innovation est maintenant de retour à son niveau de mars 2020.

Soldes à venir

Si Cathie Wood s’estime optimiste de nature et croit que l’innovation réglera nos problèmes, elle se dit néanmoins « très inquiète ».

« La confiance des consommateurs s’effondre et nous vivons un boom d’inventaires », dit-elle. Pris avec leurs inventaires, les détaillants devront solder leur marchandise, ce qui entraînera des baisses de prix, prévient-elle. Si les consommateurs s’attendent à ce que les prix baissent, ils retarderont des achats.

C’est notamment pourquoi elle croit que le risque de déflation est plus important que le risque posé par l’inflation.

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Quelque 800 personnes étaient rassemblées jeudi soir au Palais des congrès de Montréal.

« La crise sanitaire de la COVID-19 était un échauffement pour la crise que nous traversons maintenant et l’innovation perturbatrice continuera de nous aider à résoudre nos problèmes », a-t-elle également dit jeudi soir devant plus de 800 personnes rassemblées au Palais des congrès de Montréal, où se déroulait l’évènement.

Pas d’inquiétude

Également invité par CFA Montréal à donner son avis sur les marchés et l’économie, Ben Inker, co-chef de l’allocation d’actifs chez GMO, gestionnaire d’actifs de Boston cofondé par l’investisseur réputé Jeremy Grantham, a dit s’attendre à ce que l’économie plonge en récession.

Il soutient cependant ne pas trop s’en faire.

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Ben Inker, co-chef de l’allocation d’actifs chez GMO

La plupart du temps, les récessions n’ont pas d’importance. Lorsqu’on fait le bilan quelques années après une récession, on s’aperçoit qu’elles n’ont pas laissé de traces permanentes sur l’économie ou les marchés.

Ben Inker, co-chef de l’allocation d’actifs chez GMO

Si une récession est exceptionnellement profonde, cependant, c’est différent, dit-il. « Une dépression peut être douloureuse. »

Et lorsque l’économie traverse une crise financière associée à une récession, ça peut causer des ennuis substantiels, ajoute-t-il. « Mais de façon générale, une récession n’est pas si grave. Si on devait plonger en récession, il n’y a pas de raison de croire qu’elle serait particulièrement dommageable. Le système bancaire ne semble pas très vulnérable aujourd’hui. »

Par contre, dit-il, « généralement, lors d’une récession, les profits des entreprises baissent et vous pouvez imaginer que le marché boursier ne le prendrait pas très bien ».

Ben Inker ne sait pas si une récession suffirait pour éliminer les pressions inflationnistes. Il l’espère. « Mais le spectre d’une récession ne devrait pas nous empêcher de dormir. »