Jusqu’à récemment, le marché boursier semblait défier la gravité, produisant des rendements à deux chiffres qui assuraient à de nombreux Américains un confort financier alors même que tout le reste s’effondrait autour d’eux.

Lorsque la pandémie a commencé à bouleverser la société, le marché a sombré pendant quelques semaines, puis a enregistré l’une des plus grandes remontées de l’histoire. Les cours des actions ont augmenté le jour où des émeutiers ont envahi le Capitole des États-Unis, et ils ont augmenté pendant la semaine où des protestations ont secoué de nombreuses villes américaines après le meurtre de George Floyd. Durant cette période de grands bouleversements, le marché a semblé émettre un signal contradictoire indiquant que les choses allaient s’arranger – du moins, sur le plan économique.

Mais les problèmes du monde réel ont finalement gâché la fête de la Bourse. L’inflation galopante, alimentée par la hausse des prix des denrées alimentaires et la guerre en Ukraine, a incité la Réserve fédérale à relever sensiblement les taux d’intérêt pour la première fois depuis de nombreuses années, ce qui a fait chuter les cours des actions.

Les titres ont augmenté de 2,4 % vendredi dernier, mais pas assez pour compenser une semaine de baisse. C’était la sixième semaine consécutive de pertes pour le marché boursier, la première fois que cela se produit depuis 2011. Le S&P 500, qui flirte avec un marché baissier, soit une baisse de 20 %, a perdu plus de 16 % depuis son sommet de janvier. Il pourrait chuter encore plus, car l’inflation persiste et une récession se profile.

Même après l’arrêt de l’hémorragie, les investisseurs en Bourse, qui représentent plus de 50 % des Américains, pourraient faire face à des années de rendements relativement faibles qui leur laisseraient beaucoup moins d’argent pour payer les études supérieures de leurs enfants et subvenir à leurs besoins à la retraite.

Cette remise en question survient à quelques mois des élections de mi-mandat, aggravant les problèmes des démocrates, qui peinent déjà à convaincre les électeurs que leur parti et le président Joe Biden mènent l’économie dans la bonne direction.

L’ex-président Donald Trump s’est souvent attribué le mérite de la hausse fulgurante du marché boursier. Maintenant, M. Biden et son parti vont presque certainement prendre une partie de la responsabilité pour sa récente chute.

En réalité, le marché boursier n’est pas une mesure parfaite de l’économie réelle. Le chômage est faible et les dépenses de consommation se maintiennent, mais plus d’un mois de pertes punitives peut endommager la psyché financière du pays.

« Les gens considèrent le marché boursier comme un baromètre de l’économie et de leur situation financière », indique Mark Zandi, économiste en chef chez Moody’s Analytics. « Ils se sentent bien quand ils voient du vert sur l’écran et mal quand ils voient du rouge. »

Les années de taux bas ont été le carburant de fusée pour les prix des actions, en partie parce que d’autres investissements, comme les obligations, qui sont liés aux taux d’intérêt produisent des rendements minimes. Le marché boursier est devenu l’un des rares endroits où les investisseurs pouvaient gagner beaucoup d’argent.

Pendant la pandémie, les taux ont été encore plus bas, les responsables politiques cherchant à soutenir les entreprises et les consommateurs pendant les fermetures, et cela a fonctionné. Les investisseurs se sont rués sur les actions des entreprises et les ont maintenues à flot, ce qui leur a permis de continuer à embaucher du personnel, à payer les loyers, à augmenter la production et, bien sûr, à récompenser les actionnaires en leur versant d’importants dividendes et en leur rachetant des actions.

Mais l’inflation, qui fait peser un lourd fardeau sur les familles qui tentent de joindre les deux bouts, a également contribué à plomber l’ambiance du marché. La hausse constante du coût des denrées alimentaires et le prix record de l’essence ont incité la Fed à relever ses taux et à tenter de ralentir l’économie.

Wall Street s’attendait à ce que ce moment arrive depuis longtemps. Mais la réaction du marché – que certains qualifient de « réinitialisation » et d’autres de « châtiment » nécessaire pour les investisseurs en actions – n’en est pas moins douloureuse.

« Je ne pense pas que les gens se sont rendu compte de la fragilité des fondations sur lesquelles reposait le marché boursier », estime Emily Bowersock Hill, fondatrice de Bowersock Capital Partners et présidente du comité d’investissement du Kansas Public Employees Retirement System, fonds de pension de plus de 20 milliards de dollars.

Pratiquement aucun titre n’a été épargné par les pertes. Le déclin du marché « n’en finit pas, et c’est déprimant », affirme Mme Hill.

Un jeu de riches

Si une majorité d’Américains ont investi un peu d’argent dans le marché boursier, celui-ci reste un jeu de riches. Selon une analyse d’Edward Wolff, professeur d’économie à l’Université de New York, les 5 % les plus riches des Américains possèdent 72 % de toutes les actions.

Mais la valeur symbolique du marché boursier est importante. « C’est la seule histoire qui fait la une des journaux chaque soir », relève Richard Sylla, professeur émérite d’économie à la Stern School of Business de l’Université de New York.

Le marché est-il en hausse ou en baisse ? Sommes-nous en train de gagner ou de perdre aujourd’hui, cette semaine, cette année, cette présidence ?

Vendredi dernier, l’indice du sentiment des consommateurs de l’Université du Michigan est tombé plus bas que prévu, une baisse que certains économistes attribuent en partie aux pertes du marché boursier. L’indice est maintenant 13 points en dessous du plus bas niveau atteint lors de la première vague de COVID-19, fait observer Ian Shepherdson, économiste en chef pour les États-Unis chez Pantheon Macroeconomics. Un pessimisme aussi profond « suggère que les gens ont la mémoire courte », a-t-il écrit dans une note de recherche.

Cela laisse également présager des difficultés pour l’administration Biden. Non seulement la fête de la Bourse se termine sous la surveillance de M. Biden, mais il pourrait aussi s’écouler un certain temps avant qu’une autre ne soit lancée.

De nombreux analystes s’attendent à des rendements annuels à un chiffre, environ 5 %, pour les prochaines années – une énorme déception par rapport au rendement annuel moyen d’environ 17 % que le S&P a généré au cours de la décennie ayant précédé le début de cette année.

« S’il y a une bonne chose à dire sur le fait que le marché boursier a eu sa revanche, c’est que les personnes qui n’ont pas été si bien traitées par cette économie pourraient se réjouir un peu du malheur d’autrui, relève M. Sylla. Après des années où les riches se sont enrichis et les pauvres, appauvris, maintenant, personne ne va s’enrichir beaucoup grâce aux actions. »

Mme Hill ne voit aucune mesure facile que M. Biden pourrait appliquer pour contrôler l’inflation, qui inquiète les investisseurs et contribue au malaise du marché.

Essayer de freiner la croissance des salaires – un moteur de l’inflation – serait politiquement désagréable pour un démocrate, et la guerre en Ukraine, qui fait grimper le prix du pétrole, du gaz naturel et des matières premières, comme le blé, semble pouvoir durer un certain temps.

Bien que les professionnels de la retraite et de l’investissement se soient préparés à une période de rendements nettement inférieurs, M. Zandi affirme que cela risquait d’être un choc pour les investisseurs occasionnels, qui s’attendaient à ce que leur pécule de retraite augmente à un rythme qu’ils considéraient comme acquis.

« Le ménage américain moyen n’y a probablement pas pensé de cette façon, expose-t-il. La plupart des gens peuvent penser que les rendements futurs sont ceux qu’ils avaient dans un passé récent. Ils seront surpris. »

Cet article a été initialement publié dans The New York Times.

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