Pas facile de suivre les marchés depuis le début de l’année. L’investisseur inquiet peut regarder ses placements récents et se demander pourquoi ils ont fondu ainsi, surtout après deux années où les marchés rugissaient. Pas de panique, le journaliste André Dubuc analyse la situation.

La Bourse glisse, pourquoi et comment réagir ?

Ouille ! La dernière semaine a été douloureuse pour les investisseurs boursiers. Que comprendre et que faire ?

Les indices nord-américains se sont repliés en avril – le NASDAQ a perdu 13 %, le S & P 500, 9 % et l’indice Dow Jones près de 4 % –, accentuant leurs pertes en 2022, conséquence de la volatilité accrue sur les marchés et de la correction des valorisations boursières.

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L’édifice du New York Stock Exchange (NYSE) à Manhattan. Au premier plan, la statue The Fearless Girl, de Kristen Visbal.

Du côté canadien, le recul a été moins prononcé (-5,4 % en avril) en raison de la prépondérance des titres de ressources naturelles et du secteur financier dans la composition de l’indice S&P/TSX. La semaine a néanmoins été pénible à vivre.

Pour mieux comprendre la situation et ce qui nous pend au bout du nez, La Presse a recueilli les explications et conseils de stratèges d’institutions financières et de gestionnaires de portefeuille.

Moteur au ralenti

« La Bourse a perdu les deux cylindres qui ont fait tourner son moteur ces dernières années », résume Martin Roberge, stratège chez Canaccord. Selon lui, la baisse « séculaire » des taux d’intérêt est terminée depuis août 2020 et les marges bénéficiaires des entreprises sont sous pression.

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Martin Roberge, stratège chez Canaccord

Au premier trimestre 2022, pour la première fois en deux ans, le portrait des bénéfices est disparate d’une entreprise à l’autre au sein d’un même secteur d’activité.

Martin Roberge, stratège chez Canaccord

Des sociétés cotées commencent à évoquer la faiblesse de la demande. Ce fut le cas de Home Depot et de Lowe’s qui ont annoncé une croissance plus mitigée de leurs profits pour 2022. De son côté, Netflix a annoncé un recul de ses abonnés. Alphabet, société mère de Google, a raté les prévisions des analystes.

Pour 2022 et les années suivantes, M. Roberge s’attend à une croissance de la Bourse de 5 à 10 % par an en moyenne.

Inquiétudes au sujet des profits

« Dans un cycle de normalisation de la politique monétaire, il est normal que la Bourse s’interroge sur les perspectives de croissance des bénéfices des sociétés, dit Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale (BN).

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Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale

Est-ce que l’on peut encore envisager une croissance moyenne de 9 % des bénéfices à l’échelle mondiale en 2022, avec l’inflation et ce qui se passe en Ukraine et maintenant le confinement dans des villes chinoises ?

Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale

« Moscou a annoncé cette semaine qu’il cessait ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie.

« La part des sociétés [mondiales] dont les bénéfices ont augmenté se situait à 43 % au début avril, soit le niveau le plus bas en deux ans, en dessous de la moyenne historique de 45 % », lit-on ce mois-ci dans Le mensuel boursier du service économique de la BN.

« Est-ce que les entreprises européennes vont enregistrer une croissance de 8,5 % de leurs profits alors que, personnellement, je pense que la région va tomber en récession cet été à cause des effets de la guerre en Ukraine ? »

M. Marion montre du doigt les valorisations boursières élevées aux États-Unis, qui restent supérieures à la moyenne historique des 10 dernières années en dépit du recul du NASDAQ et du Dow Jones depuis le 1er janvier.

Les actions américaines se vendent à un prix correspondant à 19 fois les profits futurs. La moyenne de 10 ans est à 17 fois.

Hausses des taux d’intérêt

« La Bourse s’ajuste en regard de la hausse des taux obligataires et de la hausse des taux directeurs », explique dans un entretien Lorenzo Tessier-Moreau, économiste sénior chez Desjardins. Les banques centrales ont ajusté leur discours aux pressions inflationnistes qui persistent. Desjardins voit les taux directeurs sous la barre des 2,5 % au Canada d’ici la fin de 2022. Le 1er janvier, le taux était à 0,5 %. Du côté américain, Desjardins n’exclut pas que les taux dépassent les 3 % d’ici la fin de 2023.

« Si la Banque du Canada devance la Fed américaine, ce n’est pas qu’elle doive être plus agressive dans son resserrement monétaire », écrit Desjardins dans la dernière livraison de Prévisions des taux de détail, parue mercredi dernier. « Au contraire, la sensibilité du secteur canadien de l’habitation aux hausses de taux d’intérêt impose une plus grande prudence. »

Ce ne sont pas juste les taux à court terme qui montent, les taux obligataires également. Depuis le début de l’année, le rendement sur l’obligation du gouvernement canadien de 10 ans est passé de 1,44 % à 2,44 %, en date du 1er avril.

Les taux obligataires, notamment sur l’échéance de 10 ans, servent de barème de référence pour estimer la valeur des actifs risqués. Quand les taux obligataires baissent, la valeur des obligations et des actions monte. À l’inverse, quand les taux obligataires sont en ascension, la valeur des titres de revenu fixe et celle des actions baissent, toutes choses étant égales par ailleurs.

Chine et guerre en Ukraine

L’application stricte de la politique de zéro COVID-19 dans l’empire du Milieu a provoqué l’arrêt de l’activité économique dans la région de Shanghai, une mégapole de 25 millions d’habitants. Le pays qui avait été jusqu’alors relativement épargné par la pandémie doit à son tour faire face aux déclinaisons du variant Omicron particulièrement contagieux.

La Chine, c’est 30 % de la production manufacturière mondiale. Quand l’usine mondiale ferme, ça a forcément un impact.

Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale

Il est trop tôt pour le dire, mais un nouveau choc sur l’offre mondiale et ses répercussions sur l’inflation ne sont pas à exclure.

L’économiste Lorenzo Tessier-Moreau, de Desjardins, insiste sur les risques que la situation sanitaire en Chine s’étire dans le temps. « Le pays n’a pas vraiment connu de vagues de cas et n’a pas pu créer d’immunité naturelle. De plus, l’efficacité des vaccins chinois est contestée et, de toute façon, les vaccins, en général, ne se sont pas montrés efficaces pour empêcher la transmission du variant Omicron », souligne-t-il.

Cette incertitude se répercute sur la Bourse, selon lui.

Du côté de l’Ukraine, la guerre a créé des pressions inflationnistes sur les prix de l’énergie et de l’alimentation, forçant les banques centrales des États-Unis et du Canada à adopter un discours plus musclé contre l’inflation. La récente décision de Moscou de couper le gaz à certains pays européens ajoute une couche de plus d’incertitude.

« Tous ces évènements font en sorte que la probabilité d’un scénario de stagflation s’est accrue, signale Stéfane Marion, sans que ce soit notre scénario de base. Historiquement, une période de stagflation [inflation élevée jumelée à une stagnation de l’économie] est difficile à la fois pour les obligations et pour la Bourse », indique-t-il.

L’Occident a connu seulement deux épisodes de stagflation en 50 ans, en 1973-1974 puis en 1978-1980.

Où se cacher durant la tourmente ?

La Bourse montre des signes de faiblesse, que peut-on faire pour limiter ses pertes ? Survol des options, bonnes et moins bonnes.

En forte période d’incertitude, augmenter ses liquidités à court terme tient la route, en attendant d’y voir plus clair. Le portefeuille de préférence de la Banque Nationale surpondère la part de liquidités à 9 % du portefeuille plutôt que 5 % dans son modèle de référence.

Actions canadiennes

« Le marché canadien est moins surévalué que le marché américain, indique Stéfane Marion, stratège de la Banque Nationale (BN). Je m’attends à ce qu’il surperforme le marché américain en 2022, parce qu’il est moins cher et parce que la composition de son indice (ressources naturelles et titres financiers) fait en sorte qu’il résiste mieux à un scénario de hausse des taux d’intérêt. »

Desjardins arrive aux mêmes conclusions. L’institution a une cible de rendement de 3,3 % pour le marché canadien en 2022, mais de - 6,7 % pour le marché américain et de - 5 % pour le marché mondial.

Dépôt à terme

Un des bons côtés de la remontée des taux obligataires de long terme est que les institutions financières ont recommencé à offrir des taux d’intérêt supérieurs à zéro sur les dépôts à terme. Le 27 avril, le taux affiché sur un dépôt de trois ans est de 2,25 % et sur celui de cinq ans, de 3 %.

Pour un investisseur qui a une forte aversion au risque, c’est une option qui est en train de redevenir intéressante si vous pensez que l’inflation sera matée rapidement.

Lorenzo Tessier-Moreau, économiste sénior chez Desjardins

Titres à revenus fixes

Selon M. Tessier-Moreau, il est peut-être trop tôt pour revenir massivement vers les titres à revenus fixes puisqu’il est possible que la hausse des taux obligataires se poursuive à court terme, auquel cas la valeur des titres à revenu fixe baissera encore un peu plus. D’ailleurs, Desjardins prévoit un rendement annuel de -7 % sur les obligations en 2022.

De son côté, Martin Roberge, stratège chez Canaccord, croit que le temps est arrivé de redécouvrir les obligations de sociétés de qualité dans le but de les détenir jusqu’à échéance. Il est possible, selon lui, d’en trouver qui offrent un rendement courant de 5 à 6 % par an.

Actions à dividende

En concordance avec son scénario de rendement boursier mitigé pour les années à venir, Martin Roberge recommande de regarder les actions de sociétés de grande qualité aux bases financières solides qui offrent de généreux dividendes de 5 à 6 % par an.

Avec le prix des actions qui baisse, le rendement du dividende s’en trouve amélioré.

Martin Roberge, stratège chez Canaccord

Ce type d’actions se trouve dans les secteurs des soins de santé, des infrastructures publiques, de l’immobilier. C’est également le cas dans les télécommunications, mais M. Roberge considère que le secteur est encore trop cher à ce moment-ci. Pour ce qui est des banques canadiennes, le moment d’en acquérir se rapproche, selon lui. « On peut y aller graduellement », dit le stratège.

Prenons la Banque Royale, dont l’action se vend à 131 $ pour un dividende annuel de 4,80 $. L’investisseur souhaitant un rendement annuel courant de 4 % attendra que l’action recule à 120 $. RY a perdu 13 % de sa valeur depuis son sommet de 149,60 $ des 52 dernières semaines.

Ressources naturelles

D’après Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président de Rivemont, le temps est encore propice pour faire une rotation de secteurs dans son portefeuille.

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Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président de Rivemont

Il faut éviter les secteurs qui ont été performants pendant la pandémie, comme les titres technologiques du NASDAQ, car leurs prix vont continuer de glisser si on est au début d’une tendance baissière.

Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président de Rivemont

Il leur préfère des secteurs défensifs, des assureurs, des institutions financières et le secteur des ressources naturelles. Des domaines qui tirent leur épingle dans un contexte inflationniste et de hausse des taux d’intérêt. Malgré la flambée du prix des actions de producteurs de matières premières en 2022, « c’est encore un bon moment d’intégrer les ressources, croit-il. Beaucoup d’investisseurs les avaient éliminées de leur portefeuille dans les dernières années ».

Métaux précieux

M. Lalonde conserve environ de 5 à 10 % de son portefeuille dans des titres aurifères comme police d’assurance si jamais le scénario de stagflation prolongée se matérialisait.

L’or est vu par les experts comme une valeur refuge qui n’évolue pas dans le même sens que le marché boursier tout en offrant une protection à long terme contre l’inflation. Précisément, M. Lalonde détient des actions du fonds négocié en Bourse XGD qui regroupe les principaux producteurs d’or. XGD a gagné 14 % depuis le 1er janvier.

Cryptomonnaies

Pour les fans de monnaies virtuelles, le bitcoin est appelé à terme à remplacer l’or comme valeur refuge en période de forte inflation. Dans l’immédiat, les cryptomonnaies réagissent en tandem avec l’indice NASDAQ, des titres technologiques.

Je pensais que les cryptomonnaies allaient se comporter comme une valeur refuge, mais je suis déçu.

Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président de Rivemont

Il semble que les cryptomonnaies souffrent de l’aversion plus grande au risque de la part des investisseurs. Depuis le 1er janvier, le bitcoin est en recul de 14 % et l’ethereum, de 21 %.

Acheter des bonnes entreprises

Président de Giverny Capital, François Rochon n’est pas du genre à perdre le sommeil pendant un marché baissier. Son conseil aux investisseurs : ne paniquez pas. « Les corrections boursières font partie de l’expérience d’un investisseur boursier. Il faut éviter de regarder le court terme et penser à long terme », dit-il.

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François Rochon, président de Giverny Capital

D’excellentes entreprises se vendent à des cours déprimés parce que leur secteur est tombé en défaveur.

François Rochon, président de Giverny Capital

Il donne en exemple les titres NVR et Fortune Brands (FBHS), dans le secteur de la construction résidentielle. Deux sociétés extrêmement bien gérées, selon lui, qui ont perdu respectivement 25 % et 35 % de leur valeur depuis leur récent sommet.

Pour les plus audacieux d’entre nous, il suggère de regarder Alphabet, société mère de Google. « Actuellement, Google se vend moins cher sur la base du cours-bénéfice que le marché américain dans son ensemble. Selon moi, les perspectives de croissance des profits de Google sont meilleures que celles du marché américain en général. » GOOG est en baisse de 23 % depuis son sommet des 52 dernières semaines.