(Paris) Des milliers d’artistes créent aujourd’hui des images vendues en ligne sous forme de jetons numériques uniques (NFT), dont les plus prisés atteignent des millions de dollars. Mais ces fichiers informatiques valent-ils vraiment leur prix ?

Aucune œuvre matérielle n’est échangée dans ces transactions, tout est virtuel : les acheteurs reçoivent un « Non-Fungible Token » (« jeton non fongible » ou NFT), autrement dit un certificat d’authenticité, lié dans ce cas à une œuvre d’art.  

Si le contenu de l’œuvre numérique peut être copié, ce NFT reste le seul « original », dont la propriété est rendue unique avec la technologie de chaîne de blocs (« blockchain »).

Grâce à des ventes aux enchères spectaculaires, l’engouement a explosé en 2021, lorsque l’équivalent de plus de 40 milliards de dollars de NFT ont été échangés dans le monde, selon la firme spécialisée Chainalysis.

Et l’enthousiasme ne semble pas retomber, à en croire le succès d’une collection baptisée « Bored Apes Yacht Club ».

Ces images de singes -10 000 aujourd’hui - se sont vendues au prix moyen d’environ 250 000 dollars en janvier. Le chanteur Justin Bieber, par exemple, a payé 1,3 million pour la sienne en janvier.

Complexité technologique

Derrière les grosses transactions, des critiques ne veulent voir que le goût du lucre de gros acteurs financiers, mais il existe aussi des amateurs réellement épris de ces œuvres, pour qui la complexité technologique fait partie intégrante de la valeur.  

« Vous ne pouvez pas mettre toute la communauté NFT dans le même panier », explique à l’AFP mumu_thestan, une artiste malaisienne qui crée des œuvres NFT.

Mumu, 33 ans, vend ses créations-constellations de pixels scintillants ou femmes et dragons façon science-fiction - pour quelques centaines de dollars l’unité.  Son travail séduit notamment l’artiste David Leonard, qui collectionne ce type d’œuvres.

« Artiste moi-même, je me comporte comme le collectionneur que je souhaiterais rencontrer… Je ne voudrais pas que mon public ne pense qu’à ses plus-values potentielles », dit-il.  

Mais c’est bien la spéculation, alimentée par les réseaux sociaux, qui frappe les esprits.

L’an dernier, la collection qu’il fallait absolument acquérir était les « CryptoPunks » au graphisme carré, dont certains ont été acquis par des célébrités comme les rappeurs Jay-Z et Snoop Dog.

Une poubelle à 252 000 dollars

Justin Bieber a présenté son singe aux 200 millions d’admirateurs qui le suivent sur Instagram, alimentant un intérêt pour une collection également mise en avant par la championne de tennis Serena Williams ou la vedette du football Neymar.

Prosaïque, l’artiste américain Robness a réussi à vendre 252 000 dollars une image de poubelle.  

Après des démêlés avec la place de marché spécialisée SuperRare, l’image de poubelle qu’il avait mise sur jeton est devenue un mème - une image diffusée à grande échelle sur l’internet - et un collectionneur a souhaité l’acquérir.

« Il m’a appelé, parce qu’il voulait en savoir plus sur cette histoire » de poubelle, « et on a parlé pendant 30-45 minutes », raconte Robness à l’AFP. « Il voulait avoir l’image dans sa collection, je lui ai donné un prix, et cela s’est fait comme ça », ajoute-t-il.   

Mumu, de son côté, reconnaît avoir été aidée par la visibilité d’un de ses admirateurs, Mike Shinoda, musicien du groupe rock américain Linkin Park. Elle compte 13 000 abonnés sur son compte Twitter - contre 600 000 pour le compte du « Bored Apes Yacht Club ».

Cette audience sur l’internet est la clef pour les producteurs de NFT, qu’ils soient vendus cher ou non.

Un trait qui n’est pas sans rappeler le marché traditionnel de l’art, où certains jeunes artistes consacrent autant d’efforts à se bâtir une clientèle qu’à travailleur sur leurs œuvres.

Brian Beccafico, un collectionneur français, ne se laisse pas distraire en tout cas par le prix astronomique atteint par une œuvre de l’artiste américain Beeple, vendue 69 millions de dollars l’an dernier.

Lui, qui a réussi à acheter une œuvre de Beeple en 2020, avant sa soudaine gloire, ne la revendra pas, même si elle vaut aujourd’hui plus de 100 000 dollars. Car « je sais que je ne pourrais jamais en racheter une autre ».