Après une fin d’année 2021 sur les chapeaux de roues, malgré la résurgence de la COVID-19 et l’inflation, les marchés boursiers amorcent l’année 2022 avec des perspectives économiques qui demeurent favorables. Et des attentes des investisseurs encore élevées après des années payantes en Bourse. Mais pour combien de temps encore ? Tour d’horizon avec les experts du Portefeuille fictif de La Presse.

2022 sous le signe de l’humilité

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Si les marchés boursiers ont terminé l’année 2021 en route vers de nouveaux sommets, les rendements pourraient être plus modestes en 2022, soulignent nos experts.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $, et donc à la portée de la plupart des particuliers investisseurs.

Dans ce premier rendez-vous en 2022, ces experts reviennent sur la fin d’année 2021 sur les marchés financiers d’investissement et présentent leurs perspectives pour la suite.

Ils calibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le début d’année 2022 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence, c’est-à-dire établi à 60 % en actions et à 40 % en obligations et encaisses, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quel constat faites-vous de la fin d’année 2021 sur les marchés ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition globale de l’actif, Fiera Capital

PHOTO FOURNIE PAR FIERA CAPITAL

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition globale de l’actif, Fiera Capital

Malgré la résurgence de la COVID-19, le taux d’inflation à un sommet en plusieurs décennies et un changement soudain des perspectives de politique monétaire [taux d’intérêt] des banques centrales, les marchés boursiers ont continué à grimper grâce au solide rebond de l’économie mondiale et à la forte reprise des bénéfices dans les entreprises. Au quatrième trimestre en particulier, les marchés boursiers sont restés assez fermes alors que les investisseurs tentaient de jauger les risques à court terme pour l’activité économique du variant Omicron. Pendant ce temps, les inquiétudes concernant le taux d’inflation élevé et la possibilité d’un resserrement accéléré de politique monétaire des banques centrales ont durement touché les marchés obligataires. Par conséquent, ces marchés de titres à revenu fixe ont largement sous-performé sur les marchés boursiers mondiaux au quatrième trimestre 2021.

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

Ce quatrième trimestre a clos une autre bonne année pour l’économie et les marchés boursiers. Mes attentes d’une forte reprise de la croissance dans les économies développées se sont réalisées, ce qui a maintenu un contexte favorable pour les marchés boursiers. En conséquence, je suis satisfait des résultats atteints avec le maintien d’une surpondération en actions américaines et en actions canadiennes [par rapport au portefeuille équilibré de référence]. Par ailleurs, le maintien d’une sous-pondération en actions EAEO (Europe, Asie, Extrême-Orient) et des pays émergents s’est avéré adéquat. En contrepartie, j’avoue avoir manqué l’ampleur et la persistance des pressions inflationnistes en fin d’année, alors que je m’attendais à ce qu’elles soient plus temporaires. En fait, je ne m’attendais pas à ce que des facteurs structurels dans l’économie tels que les pénuries de main-d’œuvre et les difficultés dans les chaînes d’approvisionnement aient autant d’impact sur l’inflation par rapport aux habituels facteurs de conjoncture à court terme qui se manifestent lors d’une forte reprise de croissance.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

Le rendement des marchés boursiers a continué à surprendre au quatrième trimestre, alors que le rendement cumulatif des trois premiers trimestres de 2021 était déjà meilleur qu’anticipé en début d’année. L’année 2021 s’est terminée en force dans la plupart des principaux marchés d’actions dans le monde, tant sur la Bourse canadienne que sur la Bourse américaine, qui a connu un essor assez spectaculaire au quatrième trimestre. Par ailleurs, je remarque une relative stabilisation des marchés obligataires. Et ce, malgré le fait que la plupart des banques centrales, en particulier la Réserve fédérale américaine, ont fait état d’un rehaussement potentiel des taux d’intérêt en 2022. À mon avis, les investisseurs demeurent sceptiques par rapport au risque d’un taux d’inflation qui continuerait à s’élever au cours des prochains mois, et donc à la nécessité d’une remontée des taux par les banques centrales.

Hugo Ste-Marie, directeur, stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie, directeur, stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

Les marchés d’actions ont continué à progresser vers de nouveaux sommets en fin d’année 2021 en dépit de la résurgence presque vertigineuse des cas de COVID-19 un peu partout sur la planète. C’est particulièrement marquant sur les Bourses nord-américaines, alors que l’indice S&P 500 aux États-Unis a terminé en hausse de 27 % et que l’indice S&P/TSX au Canada a conclu l’année à 22 %. Manifestement, les investisseurs boursiers continuent à regarder au-delà de la vague Omicron de la COVID-19, considérée comme moins virulente que les précédentes. Ils voient que les perspectives économiques demeurent favorables à la progression des bénéfices des entreprises. Pour ma part, je constate une meilleure répartition du momentum haussier parmi l’ensemble des secteurs des marchés boursiers en Amérique du Nord. De même, les cours des matières premières et du pétrole, très influents dans l’indice canadien S&P/TSX, demeurent fermes à des niveaux avantageux pour les prochains résultats des entreprises dans ces secteurs.

Quelles perspectives pour la suite ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition globale de l’actif, Fiera Capital

Même si la résurgence de la COVID-19 peut inquiéter à court terme, la croissance économique mondiale devrait rester solide au fur et à mesure que cette autre vague s’atténuera. Je m’attends aussi à ce que l’inflation demeure élevée en 2022 alors que des tensions structurelles s’installent dans l’économie. Il s’agit notamment du resserrement du marché de l’emploi qui fait grimper les coûts salariaux des entreprises, ainsi que de la hausse continue des prix des matières premières. Dans ce contexte, le principal risque pour les marchés financiers dépend de la façon dont les décideurs de politique économique et monétaire [taux d’intérêt] réagissent à cette conjoncture inflationniste. Entre-temps, cette incertitude ne manquera pas de transmettre plus de volatilité aux marchés financiers, ce qui pourrait entraîner des prises de bénéfices [reventes d’actions] en Bourse. Par ailleurs, même si la croissance économique devrait rester ferme, une grande partie de la hausse des bénéfices des entreprises a été réalisée. En Bourse, les attentes des investisseurs s’appuient sur des estimations des prochains bénéfices qui deviennent de plus en plus optimistes par rapport aux perspectives économiques.

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

À première vue, l’année boursière 2022 s’amorce encore avec beaucoup d’incertitudes sur l’impact des pressions inflationnistes fortes, sur l’évolution de la politique monétaire, ainsi que sur l’impact économique des nouvelles restrictions sanitaires pour contrer la nouvelle vague de COVID-19. Pour ma part, je crois que le retour d’une politique monétaire moins accommodante [remontée des taux d’intérêt] continuera d’être très progressif. Par ailleurs, malgré l’impact à court terme du variant Omicron, qui s’annonce réduit par rapport aux vagues précédentes, je considère que les perspectives économiques en 2022 demeurent favorables pour les marchés boursiers. N’empêche, après une troisième année forte en Bourse – environ 8 % par an en moyenne pour un portefeuille équilibré, au fil des épisodes de volatilité –, j’estime important pour les investisseurs d’amorcer 2022 avec humilité. Même encore positives, les attentes de rendement doivent être modérées par rapport aux dernières années.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

Malgré la fin d’année forte en Bourse, aux États-Unis surtout, je considère que les multiples de valeur ne sont pas encore exagérés. Ils demeurent bien alignés avec la forte croissance des bénéfices des entreprises, dans un contexte de fort rebond de croissance économique après le choc de la pandémie. Cela dit, il est clair que cette croissance de l’économie et des bénéfices va ralentir au cours des prochains mois pour se rapprocher des moyennes historiques. Et ce, sans trop d’égard pour la vague Omicron, dont l’impact économique aux États-Unis s’annonce très limité par rapport aux vagues précédentes. Par conséquent, je m’attends à des rendements encore bons sur les marchés financiers en 2022, mais un peu moindres que ceux réalisés depuis deux ans. J’anticipe aussi un peu plus de volatilité en Bourse que l’an dernier, au fur et à mesure que se résorberont les déséquilibres économiques, exacerbés par la pandémie.

Hugo Ste-Marie, directeur, stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

Tant que les perspectives économiques demeurent favorables, tout indique que la hausse des bénéfices des entreprises continuera d’être au rendez-vous. Je m’attends à la continuité du momentum haussier en Bourse, quoique à un rythme un peu ralenti après trois années de rendement total de plus de 10 % pour un portefeuille de type équilibré. Je m’attends aussi à une volatilité encore persistante en Bourse, surtout du côté des actions d’entreprises dites de « croissance » aux États-Unis [technologies]. Cette volatilité pourrait se manifester au fur et à mesure des prochaines annonces de hausse de taux d’intérêt de la part de la Réserve fédérale américaine. À défaut de gros incident dans l’économie, ces épisodes de repli en Bourse pourraient s’avérer des occasions d’achat de titres que les investisseurs ont déjà dans leur ligne de mire.

Où en est votre répartition d’actifs ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition globale de l’actif, Fiera Capital

La combinaison des attentes d’investisseurs pour des bénéfices accrus et des pressions inflationnistes qui se font sentir sur les marges bénéficiaires des entreprises laisse augurer une conjoncture plus difficile pour les marchés boursiers, avec des rendements modérés et plus volatils. En conséquence, je suis à l’aise avec une pondération neutre en actions [à 60 %] par rapport au portefeuille équilibré de référence. Je m’attends à ce que les actions canadiennes surperforment dans un contexte de hausse des prix des matières premières, d’inflation élevée et de remontée des taux d’intérêt. Il s’agit de facteurs favorables à la progression des bénéfices parmi les entreprises dites de « valeur » dans les secteurs cycliques qui dominent dans l’indice S&P/TSX de la Bourse canadienne. En comparaison, sur la Bourse américaine, cette conjoncture d’inflation élevée et de remontée des taux d’intérêt risque de peser de manière disproportionnée sur les segments les plus dispendieux du marché, comme les actions de croissance [technologies] qui dominent dans l’indice S&P 500.

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

Malgré les perturbations à court terme liées à cette nouvelle vague de pandémie, les perspectives demeurent favorables aux marchés boursiers dans les économies développées. Par conséquent, j’amorce l’année 2022 du Portefeuille fictif en maintenant ma surpondération en actions au maximum de 70 % par rapport au portefeuille équilibré de référence. Par ailleurs, j’atténue ma sous-pondération en obligations, qui passe de 18 % à 25 %, et j’annule ma surpondération en encaisse [liquidités], qui passe de 12 % à 5 %. Parmi les principaux marchés boursiers, j’accentue ma surpondération en actions américaines, qui passe de 28 % à 35 %, mais j’atténue ma surpondération en actions canadiennes, qui recule de 33 % à 28 %. Du côté des marchés EAEO, j’accentue ma sous-pondération de 7 % à 5 %. Dans les marchés boursiers d’Europe en particulier, je demeure en attente d’une conjoncture plus convaincante sur le plan socio-économique avec la pandémie, mais aussi sur le plan géopolitique avec les tensions concernant la Russie. Enfin, dans les marchés des économies émergentes, je maintiens mon niveau de sous-pondération à 2 %. C’est surtout en raison de l’incertitude croissante concernant l’orientation des politiques économiques et commerciales en Chine.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

En dépit des inquiétudes persistantes en raison de la pandémie, l’économie continue à bien aller, dans une conjoncture qui demeure favorable aux marchés boursiers. Je considère que les placements en actions continuent à offrir un meilleur potentiel de rendement que toute autre catégorie d’actifs financiers, notamment les marchés obligataires qui sont encore tourmentés par la possibilité d’un rehaussement des taux d’intérêt par les banques centrales. Ainsi, dans ma part du Portefeuille fictif, je maintiens la surpondération en actions à 68 % [par rapport au portefeuille équilibré de référence]. Je conserve aussi ma sous-pondération en obligations à 26 % et mon niveau d’encaisse [liquidités] à 6 %. Parmi les grands marchés d’actions, je réduis légèrement ma surpondération en actions canadiennes, de 26 % à 25 %, alors que j’accentue ma surpondération en actions américaines, qui passe de 21 % à 24 %. Parce que l’économie américaine va bien, avec peu de risque d’un reconfinement. Par ailleurs, les inquiétudes des marchés financiers à l’égard de l’inflation se résorbent après avoir atteint un sommet en fin d’année 2021. En contrepartie, j’annule ma légère surpondération en actions internationales des économies développées (EAEO), qui passe de 16 % à 14 %. Même si la conjoncture dans ces marchés demeure favorable, j’anticipe de meilleurs rendements sur les Bourses nord-américaines en raison de leur meilleure diversification entre les actions de type défensif/croissance, qui sont prédominantes dans le S&P 500 aux États-Unis, et les actions de type cyclique/valeur, qui sont plus présentes dans l’indice S&P/TSX au Canada.

Hugo Ste-Marie, directeur, stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

Parce que les perspectives économiques demeurent favorables aux marchés d’actions et que les marchés d’obligations continuent à naviguer en eaux troubles, je conserve ma surpondération en actions au maximum de 70 % par rapport au portefeuille équilibré de référence. Je maintiens aussi inchangée ma sous-pondération en obligations (à 30 %) et en encaisse (à 0 %). Dans la portion d’actions, je conserve ma surpondération en actions canadiennes à 28 %, alors que j’élève les actions américaines en situation de légère surpondération (de 20 % à 23 %). Pourquoi ? Parce que je considère que le momentum haussier des bénéfices des entreprises en Bourse américaine demeure plus fort que celui des actions d’entreprises sur les Bourses européennes ou asiatiques. Dans le même sens, j’annule ma surpondération en actions internationales des économies développées (EAEO), qui passe de 17 % à 15 %. J’abaisse aussi les actions de marchés émergents en sous-pondération (de 5 % à 4 %), en raison surtout du ralentissement de l’économie chinoise et des incertitudes sur le plan sociopolitique.