La bataille rangée entre petits investisseurs en ligne et firmes de Wall Street s’est poursuivie vendredi, sous l’œil alerte des autorités de régulation boursières.

Le titre de GameStop, ce distributeur de jeux vidéo en difficulté défendu par des milliers d’internautes et qui était visé par de nombreuses opérations de vente à découvert, a repris du poil de la bête. Après avoir clôturé à 347,51 $ US mercredi, le titre avait terminé à 193,60 $ jeudi, un repli de 44 % consécutif à interdiction de transactions décidée par beaucoup de plateformes nord-américaines. Robinhood, dont l’application est très populaire aux États-Unis, et d’autres courtiers comme TD et Webull avaient banni un panier de titres jugés trop volatils dont ceux de GameStop, AMC et BlackBerry.

Vendredi, le titre de GameStop a clôturé à 325 $ US. À son plus bas en 2020, le 3 avril dernier, l’action valait 2,79 $ US.

Devant la mobilisation des petits investisseurs, qui ont notamment déposé une demande d’action collective, Robinhood a annoncé vendredi une « reprise limitée » des achats sur ces titres. La banque canadienne TD, dont les filiales TD Ameritrade et TD Waterhouse avaient également annoncé une suspension des transactions, n’a pas reculé et a maintenu son arrêt des transactions. Les questions de La Presse à TD à ce sujet sont restées sans réponse. Une demande d’action collective a été déposée vendredi contre TD Waterhouse Canada à Montréal par un investisseur, Eli Elkoubi, qui n’avait pas pu acheter des actions de GameStop jeudi dernier.

Sur un autre front, les internautes ont fait chuter l’évaluation de l’application de Robinhood de 4,7 à 1 étoile dans la boutique numérique Google Play Store. Google a par ailleurs précisé au site américain The Verge être intervenue pour contrer ce review bombing interdit en effaçant quelque 100 000 mauvaises notes attribuées à l’application Robinhood. Aucune manipulation semblable n’a été rapportée dans la boutique numérique d’Apple, l’App Store.

Sommet en matinée

Robinhood a en outre annoncé jeudi soir avoir réussi à lever près d’un milliard en capitaux auprès de ses investisseurs pour garantir des liquidités suffisantes pour ces transactions.

Résultat : le titre de GameStop a recommencé à grimper dès l’ouverture de la Bourse new-yorkaise, vendredi matin, atteignant à un certain moment un sommet de 379,71 $ US.

Cette guérilla d’une ampleur inédite implique de petits investisseurs, notamment les 2,5 millions de membres du forum WallStreetBets sur Reddit, et des fonds spéculatifs. Ceux-ci misent parfois sur la baisse des actions d’entreprises visées dans le cadre d’opérations boursières appelées ventes à découvert (short selling) – certains cherchent même à la provoquer.

Depuis un an, la popularité de plateformes transactionnelles gratuites – comme celle de Robinhood – ainsi que les pertes d’emplois et le confinement dus à la pandémie ont suscité de nombreuses mobilisations de petits investisseurs pour défendre des entreprises visées par ces ventes à découvert, notamment Tesla et GameStop, ou simplement pour propulser à la hausse des actions d’entreprises appréciées ou pouvant générer un profit rapide.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, ARCHIVES REUTERS

Vlad Tenev, cofondateur de Robinhood

19 milliards US de pertes

Dans le cas de GameStop, une entreprise en sérieuse difficulté financière, les opérations de ventes à découvert ont été anéanties par ces mobilisations populaires. Selon Business Insider, les fonds spéculatifs qui ont tenté l’opération contre GameStop à partir de la mi-janvier, et qui ont dû racheter des actions en forte hausse, auraient englouti quelque 19 milliards US dans cette mésaventure.

Cette volatilité a évidemment attiré l’attention des gendarmes boursiers à travers le monde. Jeudi, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a mis en garde les Québécois « à l’égard des risques très élevés liés à toute forme de spéculation boursière, notamment encouragée au sein de certains forums sur internet et les médias sociaux ».

La valeur en Bourse de certains titres d’entreprise a ainsi récemment explosé, sans aucune information crédible indiquant que ces entreprises pourraient devenir plus rentables. L’engouement pour ces titres risque d’être de très courte durée et leur valeur pourrait retomber tout aussi rapidement.

Extrait du communiqué de l’Autorité des marchés financiers

Vendredi, c’était au tour de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité de régulation boursière des États-Unis, d’annoncer qu’elle entendait « surveiller et évaluer de près l’extrême volatilité du prix de certaines actions ». Son communiqué semblait toutefois contenir un avertissement aux plateformes transactionnelles comme celle de Robinhood qui ont interdit de façon soudaine les transactions. Ce geste avait été dénoncé par de nombreux internautes et des élus américains. « Nous agirons pour protéger les petits investisseurs lorsque les faits démontrent une activité boursière abusive ou manipulatrice qui est interdite par les lois fédérales sur les valeurs mobilières », écrit la SEC.

Au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority a fait une annonce semblable, promettant de « surveiller de près les échanges sur les marchés ». « Lorsqu’ils échangent des actions dans des conditions de marché hautement volatiles, les investisseurs britanniques doivent s’assurer de comprendre pleinement les risques qu’ils prennent. Cela vaut pour les investisseurs britanniques qui échangent des actions aux États-Unis aussi bien qu’au Royaume-Uni. »

— Avec l’Agence France-Presse