(New York) L’absence, sans grandes conséquences apparentes, de courtiers sur le parquet du New York Stock Exchange pendant plusieurs semaines à cause du coronavirus a de nouveau mis en question le rôle réel de ces figures emblématiques de Wall Street.

« Au cours des 15 à 20 dernières années, la majorité du courtage est passée des mains des humains aux serveurs des ordinateurs, avec les algorithmes ou la négociation à haute fréquence », rappelle Jonathan Brogaard, professeur de finances à l’Université d’Utah.  

Sur les 13 plateformes où peuvent s’échanger des actions aux États-Unis, seul le NYSE offre encore les services de courtiers en chair et en os dans son bâtiment historique dans le sud de Manhattan, ceux que l’on voit habituellement sur les images illustrant les fluctuations des indices de la Bourse.  

« Un certain nombre de personnes critiquent ce format, se demandant pourquoi on a encore besoin de ces courtiers alors qu’on peut acheter et vendre des actions de façon plus efficace, plus rapide et moins chère avec des ordinateurs », souligne M. Brogaard.  

Aussi la fermeture du parquet du 23 mars au 26 mai, destinée à enrayer la propagation du virus, « nous a permis de tester cette théorie », remarque le chercheur qui a profité de l’occasion pour coécrire une étude intitulée « Le courtage sur parquet est-il pertinent ? »

C’était en effet la première fois que le NYSE a fonctionné en échanges entièrement électroniques en 228 ans d’existence.

Selon les auteurs de l’étude, la liquidité des titres échangés sur le New York Stock, soit leur capacité à être vendus ou achetés rapidement, a diminué quand les courtiers n’étaient plus là, tandis que la différence entre les prix proposés à l’achat et à la vente a augmenté. Et ce en particulier au moment crucial des quelques minutes suivant l’ouverture de la séance.

Conclusion selon eux : « Avoir des courtiers sur le parquet améliore la qualité du marché ».  

Mais une autre étude menée par des chercheurs de l’Université de New York et de l’Université de l’Illinois, publiée quelques jours plus tôt et nommée « Vestiges du passé : les courtiers du parquet au moment de la clôture dans les marchés électroniques modernes », est parvenue à des résultats bien différents.  

Selon les auteurs, la qualité des informations transmises aux acteurs du marché sur les prix des actions dans les quelques minutes précédant la fin de la séance s’est améliorée quand le parquet était fermé.  

Aussi l’intérêt d’une des spécificités du NYSE, qui permet aux courtiers du parquet de passer des ordres jusqu’à la clôture, « n’est pas évident », concluent-ils.

Acteurs rationnels

Que des chercheurs parviennent à des affirmations apparemment aussi opposées n’est pas forcément une surprise, remarque Shane Swanson, spécialiste des structures et technologies de marchés au sein du cabinet Greenwich.  

« Les questions qu’ils posent, la façon dont ils font leur analyse, et ce qu’ils mesurent sont très différents », explique-t-il.  

« Les Bourses se livrent une concurrence féroce pour attirer les ordres des investisseurs », souligne M. Swanson. « C’est aux professionnels qui opèrent sur ces marchés au nom de leurs clients de comprendre un minimum de la microstructure de chacune d’entre elles pour choisir la plus appropriée au meilleur moment », ajoute l’expert.

Le NYSE pour sa part défend son modèle, affirmant que la présence d’humains sur son parquet, qu’il s’agisse des courtiers ou des teneurs de marchés chargés de garantir la liquidité sur des titres spécifiques, améliore la qualité du courtage.

« Les opérateurs de marché sont des acteurs économiques rationnels. S’ils ne voyaient pas d’intérêt à maintenir cette communauté, ils n’y consacreraient pas l’effort et les ressources nécessaires depuis si longtemps », remarque M.  Swanson.

Les propriétaires successifs du parquet de Wall Street, actuellement sous la houlette de la société ICE, « auraient pu à plusieurs reprises décider de ne pas conserver les humains sur le parquet, mais ils ont choisi à chaque fois de les conserver ».  

Pour M. Brogaard, les algorithmes vont probablement finir par être en mesure de reproduire le travail sophistiqué des courtiers. « C’est une question qu’il faudrait probablement réexaminer tous les cinq à dix ans », estime-t-il.