Après un premier trimestre désastreux sur les marchés financiers, effrayés des conséquences socio-économiques de la pandémie, que peut bien réserver la suite de l’année 2020 aux investisseurs ? Tour d’horizon avec les experts du portefeuille fictif de La Presse.

Une crise sans refuge évident

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $.

Dans ce deuxième rendez-vous en 2020, ces quatre experts reviennent brièvement sur le premier trimestre 2020 sur les marchés d’investissement.

Aussi, ils recalibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le deuxième trimestre de 2020 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et à 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quel est votre constat du premier trimestre 2020 ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Même brutale à court terme, la chute des marchés boursiers depuis leur dernier sommet – de l’ordre de 35 % selon les indices – me semble justifiée en considération du choc économique mondial causé par la pandémie, ainsi que ses conséquences appréhendées sur les prochains résultats des entreprises.

« Pour limiter les dommages à l’économie, les gouvernements et les banques centrales ont répondu par des mesures de soutien financier et monétaire d’une ampleur inégalée en temps de paix. Il faudra maintenant voir si ces mesures seront suffisantes pour éviter que la récession provoquée par la crise de pandémie ne soit beaucoup plus grave que les récessions antérieures.

« D’autant qu’il s’agit cette fois d’une récession provoquée par une crise de santé publique et l’arrêt forcé des activités économiques non essentielles, alors que les récessions antérieures ont découlé surtout d’un ralentissement des marchés du crédit. »

Vincent Delisle, co-chef des placements, Hexavest

« Comme tout le monde, j’ai été étonné par la brutalité et la sévérité du revirement de conjoncture dans les marchés financiers et dans la direction de l’économie. En quelques semaines à peine, les marchés sont passés d’un contexte favorable de regain de croissance après l’accalmie du conflit commercial entre la Chine et les États-Unis à un contexte extrêmement négatif d’une soudaine récession qui pourrait être la plus grave depuis les années 30.

« Ce qui m’a étonné aussi durant ce revirement brutal, c’est qu’il n’y avait pratiquement aucune place dans les marchés financiers pour trouver refuge en tant qu’investisseurs. Même les actifs réputés de type ‘‘défensif’’, comme les marchés obligataires, les services publics et les sociétés immobilières, par exemple, ont écopé durant cette débâcle. » 

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Face à l’aggravation fulgurante de la pandémie, les marchés financiers d’investissement et l’économie mondiale ont subi des chocs d’une sévérité sans précédent. Au point que pratiquement tous les intervenants dans les marchés en ont perdu leurs repères habituels et se retrouvent maintenant en ‘‘vol à vue’’.

« En réaction d’urgence, les gouvernements et les banques centrales ont déclenché rapidement des mesures de soutien économique et financier d’une ampleur historique. Mais est-ce que ce sera suffisant pour limiter la gravité et la durée des dommages à l’économie au cours des prochains mois ? Entre-temps, c’est ce qui maintient le niveau très élevé des tensions et de la volatilité dans les marchés financiers. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Après 11 ans, presque jour pour jour, le marché haussier de l’indice S&P 500 de la Bourse américaine a connu une fin abrupte en mars, alors que l’évolution rapide de la pandémie a forcé les gouvernements du monde entier à instaurer des mesures d’urgence qui ont provoqué un choc économique d’une ampleur historique.

« En contrepartie favorable, ce contexte exceptionnel a rapidement motivé des mesures de soutien financier, fiscal et budgétaire de la part des banques centrales et des gouvernements des principales économies du monde.

« Parce que sans ces mesures d’une ampleur extraordinaire, on se serait dirigé droit vers un scénario de dépression économique, au lieu d’une récession qui sera certes sévère pendant les prochains mois, mais encore surmontable à moyen terme. »

Quelles sont les perspectives pour la suite ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« En attendant que se précisent la durée et la gravité de la crise de pandémie, ainsi que ses conséquences majeures sur l’économie mondiale, nous alignons notre analyse des perspectives chez Fiera en fonction de quatre scénarios économiques.

« Le plus probable (à 50 % des chances) est celui d’une reprise modérée de la croissance en fin d’année 2020 après deux trimestres de récession. Mais à condition que l’on évite une aggravation marquée et prolongée de la pandémie.

« Le deuxième scénario, que l’on évalue à 25 % de probabilité, serait celui d’un ralentissement prolongé de l’économie jusqu’en deuxième moitié de l’année, suivi d’une période de croissance faible pendant les 12 mois subséquents.

« Quant à nos deux autres scénarios en considération, quoiqu’en faible probabilité de 10 % à 15 %, il s’agirait soit d’une reprise forte en V de la croissance en deuxième moitié d’année, soit d’une récession sévère et allongée sur trois à quatre trimestres jusqu’à l’an prochain. »

Vincent Delisle, co-chef des placements, Hexavest

« À mon avis, la sévérité du choc baissier survenu dans les marchés financiers depuis un mois augure de l’ampleur des dommages infligés à l’économie par la crise de pandémie, et de la gravité de la récession qui débute soudainement.

« Je m’attends donc à ce que les marchés financiers demeurent très volatils au cours des prochains mois, et même plus baissiers que ce qui a été atteint en mars.

« Et ce, tant que les investisseurs n’auront pas obtenu une plus juste mesure de l’ampleur des dommages à l’économie mondiale et, du coup, des conséquences sur les prochains résultats des entreprises. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Je doute que les principaux indices boursiers aient déjà atteint le niveau le plus bas de ce soudain ‘‘bear market’’ de crise de pandémie. Je m’attends plutôt à ce qu’ils établissent un nouveau plancher à court terme, au fur et à mesure que seront connues les données économiques pires que tout ce qu’on aurait pu imaginer auparavant.

« Les deuxième et troisième trimestres seront très difficiles pour l’économie, et donc encore très inquiétants pour les marchés financiers. La stabilisation et la relance de l’économie pourraient se manifester durant les deux trimestres suivants, mais à condition que les conséquences socio-économiques de la pandémie se soient atténuées entre-temps. Et que les autorités financières et monétaires aient pu contenir le risque d’une crise des marchés de la dette corporative des économies développées, ainsi que dans la dette des économies émergentes libellée en dollars américains. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« À mon avis, il faudra attendre l’atteinte d’un pic de la crise de la COVID-19 aux États-Unis, possiblement dans deux ou trois semaines, avant d’espérer calmer le jeu dans les marchés financiers. Aussi, avant de pouvoir mieux réévaluer les chances d’une relance de l’économie en fin d’année, après deux trimestres très faibles des mois d’avril à septembre.

« Un tel scénario, s’il s’avère, serait optimal pour favoriser un éventuel redressement haussier dans les marchés financiers. Mais je ne m’y attends pas de sitôt, considérant le niveau encore très élevé d’incertitudes sur la gravité de cette récession de pandémie et son impact sur les prochains résultats des entreprises. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Dans un contexte d’incertitude extrême sur la durée de la pandémie et l’ampleur des dommages dans l’économie, ce n’est pas le temps de vendre en panique ou de jouer les héros en rehaussant le niveau de risque en portefeuille en voulant profiter de la déprime des actifs financiers.

« Cela dit, les marchés financiers semblent encore s’aligner sur un scénario principal d’une reprise lente de la croissance économique dans trois ou quatre mois, après une période de choc d’une ampleur considérable.

« Dans ce contexte, je préfère m’en tenir à des changements minimes à ma répartition d’actif pour le deuxième trimestre, pour la rapprocher de celle d’un portefeuille de type équilibré.

« J’augmente un peu la répartition en obligations (de 25 % à 30 %) et je réduis d’autant la répartition en actions (de 65 % à 60 %). Et dans cette portion en actions, je maintiens la répartition sur la Bourse américaine, mais je la réduis un peu au Canada (de 22,5 % à 20 %) et je l’augmente un peu à l’international (EAEO, de 12,5 % à 15 %). Enfin, je la réduis de moitié dans les économies émergentes (de 10 % à 5 %). »

Vincent Delisle, co-chef des placements, Hexavest

« Alors que le contexte économique s’annonce très difficile pour les six à neuf prochains mois, la révision trimestrielle du portefeuille fictif m’incite à recalibrer ma répartition d’actifs de façon plus défensive en attendant que la situation se stabilise un peu.

« Pour l’essentiel, j’abaisse ma répartition totale en actions de 64 % à 55 % et je rehausse un peu ma répartition en obligations (de 33 % à 37 %). Aussi, je double ma répartition d’encaisse (de 3 % à 8 %) en guise de réserve de fonds prêts à réinvestir lors d’un éventuel revirement haussier et fiable dans les marchés financiers.

« D’ailleurs, dans ma répartition totale en actions, j’ai ajusté mes préférences de marchés en cas d’occasion de réinvestissement durant ce deuxième trimestre. Les marchés émergents seraient au premier rang, suivis des marchés internationaux (EAEO), de la Bourse canadienne et, en dernier lieu, de la Bourse américaine. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Tant que les perspectives économiques et financières seront aussi embrouillées, c’est difficile de faire des changements de répartition d’actifs avec un certain niveau de conviction.

« Donc, pour le moment, je préfère m’en tenir au constat que les marchés obligataires bénéficient du soutien d’acheteurs désignés aux moyens énormes comme la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque du Canada, alors que les marchés d’actions (Bourses) n’ont aucun ‘‘acheteur désigné’’ en comparaison.

« C’est dans ce contexte que, pour le deuxième trimestre du portefeuille fictif, j’abaisse ma répartition en actions de 70 % à 60 % et je rehausse ma répartition en obligations de 20 % à 40 %. Ce qui est aussi plus proche d’un portefeuille dit équilibré, le temps de laisser passer l’ouragan dans l’économie et les marchés financiers. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Le niveau de volatilité demeure très élevé dans les marchés financiers, alimenté par les incertitudes sur l’évolution de la pandémie et l’ampleur des conséquences sur l’économie. Par conséquent, je considère que ce n’est pas le moment d’effectuer des modifications importantes dans ma répartition d’actifs du portefeuille fictif.

« Pour ce deuxième trimestre, je préfère m’en tenir à une légère surpondération en actions (à 65 %) par rapport à un portefeuille de type équilibré (à 60 %). Je demeure donc positionné pour participer à un éventuel rebond, s’il devait survenir avant la fin du trimestre, tout en préservant ma capacité d’ajustement pour le trimestre suivant. »