Il a suffi d’un claquement de doigts d’un prince du pétrole pour que s’effacent des milliards de dollars d’épargnes. Wow !

Que s’est-il passé pour que les marchés boursiers plantent autant ? Comment expliquer que le pétrole ait servi de catalyseur à cette déconfiture ?

Le déclencheur, en fin de semaine, a bien sûr été la décision de l’Arabie saoudite, dirigée par le prince Mohammed ben Salmane, de baisser radicalement le prix de son pétrole et d’augmenter sa production.

Pour comprendre pourquoi, il faut faire une analyse du marché du pétrole, qui a beaucoup changé.

D’abord, rappelons un fait méconnu : l’offre potentielle de pétrole des grands producteurs est bien supérieure à la demande mondiale. Les pays arabes, entre autres, ont de gigantesques nappes de pétrole, qu’elles peuvent pomper à leur guise.

Pour empocher de bons profits malgré cette offre abondante et la concurrence, un grand nombre de pays producteurs, surtout arabes, ont formé en 1960 une association qui suggère des volumes de production à ses membres. Cette association s’appelle l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

Les principaux membres sont l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak, les Émirats arabes unis, le Koweït, l’Angola, le Venezuela et l’Algérie. Les 14 membres produisent environ 43 % du marché mondial. Bref, ils pèsent lourd.

En s’entendant pour limiter l’offre, ces pays soutiennent le prix du pétrole et maintiennent ainsi leurs profits. Ce genre d’entente de répartition des marchés s’apparente à un cartel, ce qui est, dans nos économies locales, strictement illégal. Il s’agit même d’une infraction criminelle au Canada, passible de prison, en vertu de la Loi sur la concurrence.

Or voilà, certains producteurs importants ne font pas partie de l’OPEP, comme la Russie et les États-Unis, et ils ne sont pas partie aux limitations de production, en général. Ce faisant, ils profitent d’un prix intéressant contrôlé par l’OPEP sans avoir à en subir les conséquences (les limitations de production).

Survient alors le coronavirus. Le COVID-19 s’étend rapidement sur la planète et commence à avoir des effets concrets sur l’économie, faisant diminuer la demande pour le pétrole. Ce choc sur la demande a fait reculer le prix du baril de pétrole brut de 23 % au cours des deux premiers mois de 2020, à environ 52 $US (prix du Brent à la fin de février).

Pour freiner cette chute du prix, l’OPEP a fait pression sur les pays membres et sur la Russie, notamment, afin qu’ils réduisent leur production. La Russie est le troisième producteur mondial (12,4 % du marché).

Mais la Russie a refusé catégoriquement d’entrer dans la danse. Une baisse de sa production, évidemment, aurait réduit ses recettes.

La réaction de l’Arabie saoudite ne s’est pas fait attendre. Elle a immédiatement annoncé une augmentation majeure de sa production et une diminution de ses prix de 6 $ à 8 $ le baril. Cette décision a provoqué la chute mondiale des prix du pétrole, et comme le pétrole est au cœur de bien des économies, elle a entraîné les marchés boursiers dans son sillon.

Lundi, le prix avoisinait les 34 $US le baril sur les marchés, en recul de 35 % par rapport au niveau de fin février et de 50 % par rapport à celui du début de 2020. Ouch !

L’Arabie saoudite a une bonne marge de jeu. Ses territoires regorgent de pétrole facilement extirpable du sol, à un coût ridicule de 2,80 $US le baril, selon l’Agence France-Presse. Dit autrement, même si le prix chute, sa production demeure fortement rentable.

Ce n’est pas le cas de la Russie, des États-Unis et du Canada. La plupart de leurs champs pétrolifères sont rentables si le prix excède souvent de 40 à 90 $US le baril. À 34 $US, ils perdent donc de l’argent, beaucoup d’argent.

Dit autrement, en réduisant ses prix, l’Arabie saoudite cherche à éliminer des concurrents. Les États-Unis, en particulier, sont devenus un acteur majeur en quelques années grâce au pétrole tiré de formations de pierres de schiste. En 10 ans, leur production est passé de 5 millions de barils par jour à 12,4 millions. Près des deux tiers du pétrole vient du schiste. Les États-Unis sont maintenant au premier rang des producteurs mondiaux, avec 14,9 % du marché, devant l’Arabie saoudite (12,8 %) et la Russie (12,4 %).

À 34 $US, les producteurs américains ne pourront tenir le coup bien longtemps, d’autant que les gisements de schiste s’épuisent rapidement et qu’il faut constamment forer de nouveaux trous pour extirper du pétrole, explique Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal.

« Il n’est pas impossible que Donald Trump vienne à la rescousse de l’industrie en allongeant des milliards de dollars », croit l’expert en énergie.

L’industrie américaine du pétrole de schiste ne mériterait pas un tel soutien, dit-il. Un récent rapport a fait ressortir les gros problèmes de productivité et de liquidités de l’industrie, et un modèle d’affaires déficient basé sur le crédit facile. « De nombreuses faillites sont possibles », estime M. Pineau.

Il faudra voir pendant combien de temps l’Arabie saoudite et les pays de l’OPEP appliqueront cette politique de bas prix. L’Arabie saoudite est très dépendante des revenus pétroliers, bien davantage que la Russie ou les États-Unis, dont l’économie est plus diversifiée. Et les pays de l’OPEP ne sont plus aussi dominants que dans le passé (ils produisent 43 % de tout le pétrole contre 55 % en 1970).

Le dernier épisode du genre remonte à 2014, et les pays de l’OPEP s’étaient finalement entendus sur des volumes de production avec la Russie en 2016. En attendant, on peut penser que les régions du monde qui consomment davantage de pétrole qu’elles n’en produisent, comme le Québec, sortiront gagnantes.