(New York) Au-delà de la nouvelle et gigantesque brèche d’incertitude que viennent d’ouvrir les États-Unis au Moyen-Orient et sur les marchés boursiers mondiaux avec l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, les indices boursiers américains naviguaient déjà en territoire de vulnérabilité et devraient continuer de le faire au cours des six prochains mois, estime le stratège boursier réputé François Trahan.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

François Trahan trône depuis 16 ans au sommet du classement des top strategists boursiers aux États-Unis, où il a été désigné plus d’une dizaine de fois stratège boursier numéro un de Wall Street, ce qui lui a valu d’être admis au Temple de la renommée des stratèges américains.

Depuis quelques mois déjà, chaque fois que les indices boursiers américains fracassent de nouveaux records — comme c’était encore le cas jeudi —, l’événement est souligné avec éclat par de nombreux tweets de Donald Trump et des manchettes criardes sur les sites d’information financière.

François Trahan, stratège du marché boursier pour la division banque d’affaires d’UBS, ne se laisse pas distraire par tout ce bruit puisque, selon lui, les indices américains risquent de se replier au cours des six prochains mois.

François Trahan trône depuis 16 ans au sommet du classement des top strategists boursiers aux États-Unis, où il a été désigné plus d’une dizaine de fois stratège boursier numéro un de Wall Street, ce qui lui a valu d’être admis au Temple de la renommée des stratèges américains.

Depuis 16 ans, François Trahan a donc toujours fait partie du top 3 des stratèges les mieux cotés de Wall Street, sauf l’an dernier lorsqu’il a quitté la firme indépendante Cornerstone Macro qu’il avait cofondée en 2013 pour se joindre à l’équipe de recherche de la grande banque européenne UBS à New York.

« J’ai quitté Cornerstone Macro en octobre 2018 et j’ai rejoint la division banque d’investissement d’UBS en janvier 2019, où j’ai rédigé mon premier rapport en mai 2019. Je n’avais donc pas assez publié pour qu’on puisse me juger en 2019 », m’explique le stratège montréalais, qui m’a reçu dans sa maison de Larchmont, en banlieue de New York, où il vit avec sa famille de cinq jeunes enfants.

Des indices précurseurs négatifs

François Trahan a toujours analysé les marchés boursiers à partir des données macroéconomiques qui permettent de repérer les moments charnières entre les cycles baissiers et haussiers.

« Au cours des 50 dernières années, il y a eu huit hausses et autant de baisses des taux d’intérêt qui ont toutes entraîné des hausses et des baisses des marchés boursiers. »

La dernière hausse des taux d’intérêt aux États-Unis date d’il y a un an et les taux ont commencé à baisser au mois de juillet dernier. Historiquement, une baisse des taux d’intérêt marque le début d’un nouveau cycle économique à la hausse.

François Trahan

Les indices boursiers américains ont recommencé à fracasser des records tout au long de l’automne, alors que s’amorçait la baisse des taux d’intérêt, le consensus des analystes financiers américains étant que les marchés allaient profiter de la relance économique.

Or, selon François Trahan, une baisse des taux d’intérêt n’est pas le seul indicateur économique avancé dont il faut tenir compte pour anticiper une hausse des marchés. Il faut mettre en relation plusieurs de ces indicateurs, dont l’activité manufacturière calculée par l’indice ISM (Institute for Supply Management) et les prévisions des bénéfices des entreprises.

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François Trahan, stratège du marché boursier pour la division banque d’affaires d’UBS

Historiquement, la règle de trois nous rappelle qu’il faut compter 18 mois à partir de l’atteinte d’un sommet des taux d’intérêt avant que les indices précurseurs repartent à la hausse. Le sommet des taux d’intérêt a été atteint en novembre 2018, c’est donc en mai ou juin de cette année que les marchés devraient vraiment repartir à la hausse.

François Trahan

En septembre et octobre, la hausse des marchés a été alimentée par une lecture positive de l’activité manufacturière aux États-Unis. Mais l’indice précurseur ISM a baissé sous la barre des 50 points en novembre (ce qui annonce une contraction de l’activité manufacturière) et on a appris vendredi que l’indice avait encore reculé en décembre à 47,2 points, son plus bas niveau depuis juin 2009 !

Des marchés qui font du surplace

Le stratège boursier constate que beaucoup d’investisseurs se sont laissé endormir par l’atteinte de nouveaux sommets historiques par les indices américains.

« Les gros gains de 2019 sont pour l’essentiel du rattrapage par rapport aux pertes de 2018. Au cours des deux dernières années, les marchés américains ont généré des rendements d’à peu près 12 %, soit 5 ou 6 % par année. »

« Les prévisions des bénéfices étaient à leur plus bas cet automne et quand les prévisions de bénéfices commencent à tomber avant que les indices précurseurs se mettent à monter, cela donne lieu à des périodes de volatilité comme celles qu’on a connues en 1990-1991, 2000-2001 et 2008-2009. En janvier 2015 et à l’automne 2018, les marchés ont chuté là aussi parce que les prévisions de bénéfices étaient à la baisse », expose François Trahan.

Selon le stratège, les indices américains pourraient donc enregistrer un repli au cours du premier semestre de l’année. La suite des choses dépendra de la capacité des entreprises à formuler des prévisions de profitabilité plus optimistes.

Il y a eu de bonnes nouvelles pour les marchés. La baisse des taux d’intérêt en était une. Mais les prévisions à la baisse des bénéfices nous montrent qu’on entre en territoire risqué.

François Trahan

Nouvelle vie chez UBS

François Trahan s’est joint il y a un an à l’équipe de la banque UBS à titre de stratège pour la Bourse américaine de la division banque d’investissement du groupe financier européen. Pourquoi avoir quitté Cornerstone Macro, la firme de recherche indépendante qu’il avait cofondée en 2013 ?

« Les conditions du marché ont changé. Particulièrement en Europe où on a adopté MiFID II, un nouveau cadre réglementaire qui a transformé les relations entre les firmes de recherche et leurs clients. »

« Essentiellement, les grands gestionnaires de fonds ne peuvent plus financer leurs coûts de recherche à même leurs frais de commissions, et ce nouvel environnement va compliquer la vie des petites firmes indépendantes. J’ai donc décidé d’aller chez UBS, qui est la banque numéro un en Europe et en Asie. C’est un beau défi », résume le stratège boursier.

Après plus de 10 années de croissance économique ininterrompue aux États-Unis, est-il d’avis que l’économie américaine se dirige vers la récession que de plus en plus d’analystes appréhendent ?

Je ne suis pas économiste, je suis un stratège boursier et j’ai compris depuis longtemps que les marchés boursiers escomptent souvent des événements qui n’arrivent pas. On a déjà prévu l’effondrement de l’économie chinoise, ça ne s’est pas produit. On a déjà vu le pétrole à 300 $ US le baril, ça n’est jamais arrivé.

François Trahan

La crise qui se dessine au Moyen-Orient ?

« C’est certain que c’est un événement qui rajoute de l’incertitude et ce n’est pas une bonne chose de rajouter de l’incertitude quand les indices précurseurs sont à la baisse comme c’est le cas présentement », avise le stratège.