Au moment où l’indice du TSX se maintient près de son niveau record, que reste-t-il donc des enseignements de Benjamin Graham colligés dans son classique L’investisseur intelligent ? La question a été posée à trois de ses adeptes.

[L’investisseur intelligent], c’est la base de l’investissement. Ça va toujours être intemporel. La façon d’investir peut avoir évolué. Mais les principes derrière sa philosophie vont toujours être valables.

Philippe Le Blanc, chef des placements et président du conseil de la firme Cote 100

Qui est Benjamin Graham ?

Financier, mais surtout homme d’une grande érudition, Benjamin Graham (1894-1976) est, aux dires de ses adeptes, sans doute le premier à avoir injecté une dose de rationalité dans le domaine de l’investissement, à une époque où celui-ci carburait à la spéculation. On doit à cet économiste devenu universitaire la publication d’un ouvrage, Security Analysis en 1934, destiné aux professionnels du placement, puis d’un titre grand public, The Intelligent Investor en 1949, devenu la bible de l’investisseur au détail. L’écrivain financier a d’abord été un gestionnaire doué, obtenant un rendement annuel moyen de 14,7 % après les frais, sur une période de 20 ans s’étalant de 1936 à 1956, année de sa retraite à titre de gestionnaire de fonds.

L’Investisseur intelligent

Publié d’abord en 1949, cet ouvrage de plus de 600 pages a fait l’objet de quatre éditions du vivant de son auteur. La dernière remonte à 1973 et sa préface a été signée par son plus célèbre fidèle, l’oracle d’Omaha, Warren Buffett. Une édition révisée a été publiée après le krach des technos, en 2003. Cette dernière est commentée par le journaliste financier Jason Zweig, aujourd’hui chroniqueur en finances personnelles au Wall Street Journal.

Agir en propriétaire

L’investisseur est intelligent quand il se comporte comme une personne en affaires, prête à mettre l’effort pour mieux faire fructifier son avoir. Dans ses commentaires portant sur le chapitre premier, Zweig résume la pensée de Graham par trois éléments : analyser la société avant d’acheter, se protéger contre le risque de subir de lourdes pertes (éviter les achats sur marge) et viser une performance adéquate, pas exceptionnelle.

L’activité d’investir en Bourse, quand c’est fait de façon intelligente, selon Ben Graham, c’est vraiment se comporter comme si on achetait la totalité de l’entreprise et non pas des jetons de casino ou essayer de prédire le marché à court terme, ce que Ben Graham considère comme étant de la spéculation.

François Rochon, président de Giverny Capital

M. Marché

Au chapitre 8, M. Graham explique à ses lecteurs que le marché boursier est un être maniaco-dépressif. Un jour, M. Marché trouve une entreprise fantastique et est prêt à l’acheter à n’importe quel prix ; puis, le lendemain, M. Marché voit subitement tout en noir et ne pense plus qu’à procéder à une vente précipitée avant qu’il ne soit trop tard.

« L’investisseur intelligent est conscient que le marché agit de cette façon et tâchera d’en profiter, dit François Rochon. S’il trouve qu’on lui offre un prix trop élevé par rapport à la juste valeur, il est mieux de vendre ses actions. À l’inverse, à un prix extrêmement bas, il en profitera pour en acheter ou en racheter pour augmenter sa position dans la société. »

« C’est un principe qui est toujours valable. Soixante-dix ans après la première édition de L’investisseur intelligent, le marché boursier se comporte toujours comme une personne maniaco-dépressive », souligne le gestionnaire de portefeuille.

Se donner une marge de sécurité

Au chapitre 20, Benjamin Graham insiste sur l’importance d’acheter une action d’entreprise au rabais par rapport à l’évaluation que l’investisseur se fait d’un titre. « L’évaluation d’un titre est un exercice imprécis. Il y a beaucoup d’estimation là-dedans. Si on pense que le titre vaut 100 $, mais qu’il se vend 65 $, même si on s’est trompé quelque peu dans l’évaluation de 100 $, au moins on a une marge de sécurité importante. [Ce principe] sera toujours valable, à mon avis, dans l’investissement », dit Philippe Leblanc.

Ce qui a mal vieilli

Aux yeux de M. Graham, acheter au rabais signifiait acheter à un prix inférieur à la valeur des actifs tangibles, soit en bas de sa valeur liquidative. Au mieux encore, il recommandait d’acheter à escompte par rapport à la valeur nette de son fonds de roulement. À son époque, les titres manufacturiers étaient légion sur les parquets de la Bourse. De nos jours, des sociétés informatiques comme CGI ont somme toute peu d’actifs tangibles (comme des stocks et des immobilisations). Autre changement, l’information est instantanément accessible. Les aubaines restent moins longtemps sur les tablettes que dans les années 50.

« Si on regarde la valeur comptable pour acheter une entreprise, ça ne sera pas les meilleurs investissements qu’on va faire », dit Eddy Chandonnet, gestionnaire de portefeuille chez GPS Medici. M. Chandonnet fait sienne la maxime de Warren Buffett : mieux vaut acheter une entreprise extraordinaire à prix ordinaire que d’acheter une société ordinaire à prix extraordinaire.

Autres enseignements de M. Graham

• Jouer défensif, si vous ne voulez pas y mettre les efforts — chapitres 1 et 5

• Considérer le bénéfice par action moyen sur 3 ans, 5 ans, 10 ans, pour éliminer l’effet des charges exceptionnelles — chapitre 12

• Se tenir loin des premiers appels publics à l’épargne — chapitre 16

• Recevoir un dividende est éminemment souhaitable, sauf exception — chapitre 19

Deux autres classiques de l’investissement boursier

Common Stocks and Uncommon Profits, de Philip A. Fisher

One Up on Wall Street, de Peter Lynch

Au Québec

Investir à la Bourse et s’enrichir, de Bernard Mooney

La Bourse ou la vie – Les secrets d’un investisseur, de Guy et Philippe Le Blanc